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Ce jour là...

 

 

Extrait du roman: Parce qu'il n'y a rien de plus fantastique que la vie

l'initiation

 

    Ce jour là, le ciel était immobile, figé dans cet interminable après midi d’été grisé d’ennui. Le haut d’un frêne frémissait légèrement sous le souffle léger d’un vent somnolent, alors qu’un geai déployait largement ses ailes pour aller se poser doucement dans un champ. Soudain…un taillis sursauta. Une main, une main humaine avait frôlée son feuillage qui en frissonnait jusqu’à l’extrémité de ses pousses. Maintenant, la main écartait l’intimité de son branchage. Au dessus, dans le creux d’un châtaigner, un hibou dérangé se réveillait. Il ouvrit largement deux grands yeux béats. La main entreprenante pénétrait plus avant jusqu’à traverser le feuillu de par en par. Puis arrivée de l’autre côté, elle écartait les dernières feuilles vertes. À présent, le propriétaire de la main, à la vue unique, pouvait observer le paysage. Quelques instants suffirent à l‘oubli pour retrouver sa place. Noyé  
dans le décors, qui aurait pu croire déceler une quelconque forme de vie sous cette tunique de fibre de tilleul rouie teinte en vert et gris. Qui aurait pu deviner un visage derrière ces marques de scarifications magiques qui se confondaient si bien avec le décor de verdure. Qui aurait pu imaginer voir un regard à travers cet œil unique, fixe et éteint comme un nœud accroché à un tronc d’arbre mort.  Son large chapeau triangulaire en paille tressée échevelée au profond rebord, plongeait vers l’avant et interdisait à la lumière de filtrer. Une cape de végétaux nattés lui recouvrait le dos, et des herbes vertes et noires, accrochées derrière sa nuque, tombaient sur ses épaules. Il aurait fallu beaucoup de perspicacité pour ressentir le moindre souffle de vie émaner de cet endroit. Sur le flan du coteau, de l’autre côté de la rivière, le village s’animait tranquillement. Des femmes étendaient le linge au vent, des hommes tiraient des traîneaux sur la voie principale damée de petits graviers, en remontant vers la place de la pierre levée.  Des volailles déambulaient, et quelques chèvres broutaient librement le long des maisons. L’oeil noir cillait de temps en temps entre deux éternités, l’objet de son intérêt se trouvait là, devant lui innocent, à sa porté.
    Des enfants jouaient calmement dans une cour à un jeu d’osselet qui devenait maintenant lassant, et la fatigue aidant, une mauvaise humeur s’était invitée à la place. Tout d’abord, il y avait Lainé, le premier fils du chef du haut de ses huit saisons, il avait déjà une bonne vision de son avenir. Arrogant et fier il voulait déjà en imposer sur les autres mômes de son age. Miel d’automne assis en face de lui s’en accommodait fort bien, et même il s’enorgueillissait de faire partie du club très fermé des amis du futur chef suprême du village. Ils élaboraient des tas de projets ensemble de tout genre, de l’agrandissement des espaces de jeu, aux nouvelles recettes de confiserie, jusqu’à la construction d’un tribunal et d’une salle de torture, où toutes les personnes qui leurs avaient fait du mal y comparaîtraient prochainement. Jour de pluie était un demi-frère de miel d’automne, de quelques saisons son aîné. Pourtant, il était de taille plus petite, il paraissait presque chétif. Il n’avait aucune prestance, aucun charisme, indolent et à l’humeur changeante, agréable par moment, surtout quand il voulait obtenir quelque chose. On le suspectait aussi d’être un petit peu trop bavard quand cela l‘arrangeait. Il répondait toujours aux questions, si une récompense lui était promise. De telle sorte que chacun essayait de faire ses petits coups en douce sans jamais lui en parler. La fille du commerçant de chanvre se trouvait également là, elle s’appelait Fleur de rosée. Son père agriculteur d‘origine, s’était mis au commerce qui l’avait enrichi. Avec le produit de sa récolte de chanvre, il faisait faire fabriquer des filets de pêche. Il descendait ensuite sur les côtes, dans les villages de pêcheurs, du nord à l’ouest. Là, il les échangeait contre du poisson. Il avait ensuite troqué ce poisson aux paludiers contre du sel. Puis il échangeait ce sel, avec les grandes fermes du centre des terres, contre des sacs de blés. Avec le temps il avait fini par acquérir des étiers, et était devenu le roi de la salaison, le poisson ainsi préparé s’échangeait aux quatre coins du pays. II avait acquis une solide notoriété avec le temps. Ceci à de l’importance pour la suite de l’histoire. Lorsque l’on est jeune, on croit en l’immuabilité des choses, et l’on ne peut imaginer que cela puisse changer un jour. Surtout en ce qui concerne les sentiments.
    Il y avait également Espoir loué, ce gosse avait à peu près le même âge que le reste de la bande. Il n’avait aucun signe particulier si ce n’est qu’il était insignifiant. Si, il était comme le reste des membres de sa famille : assez frustre. Mais bon, il avait le cœur vaillant. Tous les garçons fanfaronnaient devant fleur de rosée en faisant le beau. C’était la seule fille ce jour là qui avait eu la permission de sortir. Que de beaux souvenirs que l’on aimerait tant revivre si cela était possible. Lainé ne supportait pas de perdre, les autres enfants le savaient pertinemment, car ils en payaient les frais, aussi ils préféraient partir avant la fin de la partie, laissant le doute planer sur le résultat finale. Seul Miel d’automne osait le braver, et quand il gagnait, cela finissait généralement en bagarre. Comme ils étaient de constitution équivalente, bien que lainé soit plus âgé de quelques saisons, cela se terminait toujours par un match nul. Alors bien souvent, lainé furieux de ne pas avoir réussi à vaincre son rival de façon plus spectaculaire, devant la belle Fleur de rosée, allait se plaindre en pleurnichant à son père. Celui-ci refusait systématiquement de se mêler de ce genre de conflit. Il ne supportait pas qu’on le dérange pour un oui ou pour un non, alors, pour bien se faire comprendre, il assenait une correction à son rejeton, pour qu’il apprenne à faire respecter son nom. Aussi, dans ces moments d’extrême solitude, Lainé appelait méchamment son copain « Fils de personne ». Mais au lieu de le blesser, cela lui faisait énormément plaisir de connaître le nom de son père, lui qui n’avait jamais connu ses parents. Même si personne n’était pas un nom courant. Lainé était très fier de son statut de fils de chef, en plus, étant le premier né, cela lui préfigurait un avenir tout tracé. Cela constituait le fondement des traditions du clan. Son père quand à lui n’avait pas la fibre paternelle, et de surcroît se moquait des lois, pour lui, seul sa force prévalait. Mais, il avait surtout peur que son fils ne soit trop impatient de prendre sa place. Ours coléreux avait un comportement fruste,  un vocabulaire  limité, et  des idées  préconçues qui prônaient pour des coups de force rapides et définitives, plutôt que pour des palabres interminables, qui en plus, lui donnaient mal au crâne. Il était le chef de la tribu du pays des géants, car autrefois, des génies de taille immense créés par le dieu solaire en personne, retenaient à bout de bras de très grands territoires sacrés aux dessus des flots. Le clan était très fier d’en être les descendants, rescapés de la colère du tout puissant. Le chef, sur les recommandations appuyées du conseil des anciens, avait du prendre une deuxième épouse. C’était la fille d’un puissant chef d’un clan situé à une journée de marche vers le levant, une tribu fortement influencée par les échanges culturels et technologiques venus de l’est, les membres du conseil pensaient que cela valait mieux de s’en faire un allié plutôt qu’un nouvel ennemi… ils en avaient déjà tellement. Ours en colère ne voyait pas l’intérêt de commercer et de payer ce que l’on pouvait avoir gratuitement par la force, sinon: cela ne servait à rien d’être le plus fort. On lui donna, sans trop lui demander son accord, une troisième épouse. C’était la fille d’un membre très influant du conseil, elle avait aussi cinq frères de constitutions impressionnantes, que des colosses. Ils faisaient la fierté du clan, forts et habiles guerriers. Il avait été jugé judicieux de mêler ces deux familles dans la même destiné, et d’enterrer les conflits d’intérêts personnels. Le seul petit problème était que ces trois femmes, liées à une même maisonnée, et qui auraient très bien pu se satisfaire d’un époux, oh combien primaire, mais tellement puissant et riche, ne pouvaient pas du tout s’entendre entre elles.
    Mais revenons donc à ce jour là, les enfants jouaient sans plus d’entrain aux osselets, Miel d’automne menait, Lainé contestait la régularité de chaque coup, Jour de pluie, lassé, faisait le pitre avachi dans l’herbe. Il tentait d’amuser Fleur de rosée qui riait et riait, mais pour une tout autre raison. De la maison du chef de clan, des cris de dispute stridents fusaient à tout va, signe qu’Ours en colère n’était pas au village. Lainé, insatisfait, aurait bien voulu retenter sa chance aux poings. Un chant d’oiseau cajolait, probablement un geai, cela venait de l’autre côté de la rivière. Miel d’automne l’écoutait comme captivé, alors que Lainé, s’énervait comme à chaque fois qu‘il entendait les femmes de sa maison se disputer. Miel d’automne quand à lui ne se préoccupait que du chant d’oiseau, il leva aussitôt la tête et essayait d’en déterminer l’origine. Il scrutait les environs jusqu’à l’orée du bois. Il regardait de gauche à droite, ses yeux se plissaient comme pour mieux voir. Ses camarades avaient ressenti son soudain intérêt pour ce paysage, qui n‘avait pourtant pas changé depuis longtemps. Le chant du geai encore une fois retentit, à présent plus de doute, il fallait que l’enfant s‘en aille. Aussi, bondit-il sur ses jambes, avant de les prendre à son cou, et cela sans aucune autre forme de politesse qu‘un petit ¨ Je reviens ¨. Il dévalait la rue à grande enjambée, sous le regard interloqué de ses petits camarades. Ils saluèrent ce départ précipité par divers commentaires. Lainé fit remarquer que c’était ce qu’il avait de mieux à faire, s’il voulait évité de prendre une bonne raclée, son demi frère acquiesçait, et se proclamait premier deuxième, tandis que Fleur de rosée était triste de n’avoir pas pu lui donner un au revoir sur le coin d‘une joue. Arrivé à l’orée de la forêt, miel d’automne appela de tout côté  
sans résultat; et pourtant il était là, il le savait sans pouvoir dire pourquoi. Un vol d’oiseaux dérangé l’orientait par là, un bruissement de feuillage par ici, un écureuil qui dévalait de son arbre pour en choisir un autre l’attirait un peu plus loin. Le chant particulier d’un oiseau nocturne l’incita à poursuivre. Et c’est ainsi que sans s’en apercevoir, il se retrouva au beau milieu des bois.

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