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Gorgani Ricci Lucio

Le restaurant était plein, c'était le coup de feu.
Au bar, les gens se serraient, comme des sardines litées dans leur boite. Il y avait bien trois épaisseurs devant le zinc. Trois ouvriers dans le bâtiment se restauraient pour l'heure. Ils étaient coincés entre le téléphone et une machine à sous, tout au bout du bar. Ils avaient pris la place du beau Jacques qui était retourné à ses affaires. Après les tournées de pastis, de quoi se mettre en bouche, ils s'attaquaient maintenant aux ballons de côte du Rhône. Pour accompagner leurs libations, ils avaient pris des œufs durs et un sandwich jambon. Ils parlaient boulot avec passion. Ces trois là, je les connaissais bien, ils habitaient le quartier. Le métier du bâtiment n'était pas leur profession officielle. Ils travaillaient ici ou là, et rendaient quelques petits services à des prix défiants toute concurrence. Le véritable domaine dans lequel ils excellaient était chercheur... à l'A.N.P.E. principalement. Là en ce moment, ils travaillaient dans un parking en sous-sol. Ils avaient la délicate mission de refaire toutes les peintures du sol au plafond. Gorgâni était le chef de chantier, il savait diriger les hommes. Ricci avait la cinquantaine bien passée. C'était un ouvrier méticuleux et zélé, peut être même un peu trop. Quand il en avait un petit tour, il parlait en se répétant sans cesse, et il agitait ses mains au niveau de ses oreilles, comme un joueur de castagnette. Là, le sujet de discussion portait sur les moyens mis à leur disposition. En l'occurrence, Ricci se plaignait de n'avoir qu'un petit pinceau pour repeindre toute la tuyauterie d'aération du local, un genre de brosse à dent déplumée. En plus, la peinture n'accrochait pas, il en aurait fallu une spéciale selon lui. De plus, ces tuyaux d'aération se trouvaient suspendus aux plafonds, à plus de cinq mètre de hauteur. Il y faisait une chaleur étouffante, au point que quelque fois, perché en haut d'un interminable échafaudage bancal, il avait failli tomber. Gorgâni n'était pas d'accord sur tous les points. Premièrement, à cette hauteur, il n'était pas question de fignoler. Personne n'irait vérifier si la peinture recouvrait parfaitement les tuyaux de plastique, qui était de surcroît enrobés de crasse et de résidu de fumée de gaz d‘échappement. L'important, c'est que du sol, cela fasse propre. En ce qui concernait les pinceaux, au début du chantier, il y en avait plein, et de toutes les tailles. Évidement, si personne ne prenait le soin de les entretenir, il n'en resterait bientôt plus. Il n'allait quand même pas perdre sa marge bénéficiaire dans le matériel. Ricci protestait, lui, il nettoyait ses outils chaque soir, mais le lendemain matin, il ne les retrouvait plus. Lucio qui se voyait soudainement visé, répliquait. Il ne se servait que de ses outils, dont d'ailleurs, il prenait grand soin.
-Gorgâni: « Je t'ai confié ce boulot parce que tu travailles bien. Lucio a essayé au début, tu sais bien. Déjà, avec sa petite taille, même en haut de l'échafaudage, il a dû mal à atteindre les tuyaux, tu le vois bien. »
Lucio était d'origine portugaise, lui aussi avait la bonne cinquantaine. Il mesurait, les bras levés, guère plus d'un mètre soixante, ce qui fait qu'il était presque aussi haut que large. Il marchait à la côte du Rhône du matin au soir. Cela n'a probablement aucun rapport, mais il était bourré de tics. Du genre à hocher brutalement du chef de gauche à droite, et de bas en haut. Il avait également une toux suivit d'un raclement de gorge chronique, et quand il s‘énervait un peu, il s‘époussetait le corps du bout des doigts nerveusement. À part cela, il était comme vous et moi.
-Gorgâni: « Tu te souviens ? Dis ! Lucio. Quand on a commencé le chantier, l'échafaudage était neuf et bien monté. »
-Lucio: « Moi, c'est pas ma faute si j'ai le vertige »
- Gorgâni: « Pour travaillez dans le bâtiment, c'est un handicap. Enfin, c'est pas le problème » il se tourne alors vers Ricci comme pour le prendre à témoin. « Ricci, écoute! Notre Lucio était en haut de l'échafaudage en train de peindre dans le vide. J'étais en bas, je le regardais faire, je m'approche pour lui demander si tout va bien. À cet instant, je ne sais pas ce qu'il lui prend. Il est pris d'un de ses tics » Gorgâni imite alors Lucio de façon appuyée. Il hausse l'épaule brusquement, secoue la tête de droite à gauche comme un fou, soulève le genou et balance la jambe mollement.
-Gorgâni: « Il a eu un de ces mouvements brusques, qui vous effraie à chaque fois. L'échafaudage branle de toute part. moi, en bas, je prends peur. Il va me tomber dessus ce con. C'est-ce que je pense, et je reste là comme paralysé. Je vois ce putain de pot de peinture posé là haut, qui bascule ne sachant où tomber, et je le vois encore ce pot fondre sur moi. Je ne bouge toujours pas. Je sais que l'échafaudage va tomber lui aussi, et je pense à anticiper sa chute. Je ne tiens pas à rester en dessous. Le pot tombe par terre et explose à moins d'un mètre de moi. Je ne te dis pas le travail. La peinture a gerbé de tous les côtés. Celle là, elle tenait bien, je l'avais acheté exprès. Heureusement que l'échafaudage est tombé de l'autre côté, je n'aurai pas pu l'éviter. J'avais les yeux plein de peinture, et tout c'est passé tellement vite: quelle peur que j‘ai eu, celle de ma vie. »
-Lucio: « Merci quand même, j'ai manqué me casser le cou, j'aurais pu rester paralyser et toi, tu ne pensais qu'à tes chaussures tachées. Heureusement que j'ai fait les commandos, et que je sais faire des roulés-boulés. »
-Gorgâni: « Oui, mais heureusement que tu es rembourré, ça amorti les chutes, et puis, tu n'as pas eu beaucoup de mal à rouler, avec ton physique. Moi, j'avais de la peinture partout, des chaussettes au slip, et pas de vêtement de rechange pour rentrer. En plus, j'ai pas trouver le white-spirit, t'as dû le boire en douce. Mais Quelle équipe! »
-Lucio: « Je ne suis pas prêt de remonter sur ce putain d'échafaudage de merde. Tu trouveras bien un autre con que moi. Je te fais confiance. »
- Ricci : « Moi, je l'ai bien remonté, ton échafaud. Mais il doit manquer des pièces, que je n'ai pas retrouvées. De plus, il y a des traverses qui sont voilées maintenant. Tu aurais dû en prendre un fixe, c'est plus cher, mais c'est plus stable. Les mobiles, c'est pratique pour les petits boulots, mais là, travailler à cinq mètres de haut, sur un sol en pente, c'est pas évident. De plus, les roues ne se bloquent plus très bien. J'ai mis une cale, pour bloquer le bazar, mais ce n'est pas professionnel. C'est plutôt casse gueule. Si je tombe, je te fous dans la merde. »
-Gorgâni:« Ouaih! De toute façon, tu n'en as plus pour longtemps... Alors ne fignole pas trop, l'important c'est que cela fasse propre vue du sol. »
- Ricci: « Moi, je travaille proprement, déjà que j'ai pas de pinceau qui aille, et que la peinture doit être à l'eau pour ne pas tenir, j‘en chie tu sais. Tu ne peux pas te l'imaginer. En plus, je ne vois pas d'où je suis ce que je fais. Je suis trop près.»
- Gorgâni: « C'est très bien ce que tu fais là, moi, en bas, je le vois bien. C'est très bien comme ça. Il y a encore les murs et les sols à faire avant la fin de la semaine. J'ai promis, tu comprends. »
- Ricci: « Moi je travaille proprement. Si j'avais un pinceau qui aille, et de la peinture qui tienne, je t'aurais fait un travail de pro. Mais là, je ne vois même pas ce que je fait. Tu sais, quand on est trop près, on ne se rend pas bien compte. »
-Gorgâni : « c'est très bien comme ça, je te dis. T'es intelligent toi! Ça ce voit tout de suite. Putain! Qu'est-ce que t'es intelligent toi. Les gens ne regardent jamais en l'air, surtout dans un sous sol mal éclairé. Tu bouches les quelques trous qui restent, tu fais un ou deux raccords et le tour est joué. C'est pas la chapelle Sixtine que tu peins, mais un garage où t'ira jamais garer ta tire, Alors tu t'en fous  »
- Ricci : « Oui, je sais, mais si j'avais un pinceau qui aille, et de la peinture qui aille, le boulot serait fait depuis déjà longtemps. En plus, quand je suis en haut, je ne me rends pas bien compte, tu le sais ? »
- Lucio : « Tu n'as qu'à essayer la moutarde, tu sais ? Il n'y a que la moutarde maille qui m'aille. »
- Ricci : « Moi je travaille proprement. Je suis en train de finir ton travaille. T'es gonflé de la ramener. Toi, tu avais un bon pinceau, de la peinture qui aille, et un échafaud qui tenait tout seul debout, moi... »
- Gorgâni : « Bon! On ne va pas en discuter pendant des heures. Le boulot ne se fera pas tout seul. Hop! Au travail. Eh! Marc, tu me marques tout ça. Je te payerais ce soir au retour. »
- Ricci : « j'espère que je vais retrouver un bon pinceau, parce que tu sais, moi, j'aime bien le travail bien fait... »
- Lucio : «  Moi, j'irais bien faire une petite sieste. »

Une heure, c'est le coup de bourre. Les premiers clients réclament leur addition. Il faut encaisser. Certains clients ne payent que leur écot, il faut donc calculer leur part au plus juste. Prendre les tickets restaurant qui sont de montants différents selon les entreprises, calculer s'il y a une

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