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Le petit village extrait

Le petit village

Le jour se levait à peine, que les rues se débarrassaient déjà de leurs pénombres jusqu'au tréfonds des arrières cours. Le jour, comme pressé de déclamer à la place la venue prochaine du printemps, se hâtait de s‘étendre. Le quartier n'avait pas attendu cet éveil pour s'activer avec entrain. Le marché était déjà en pleine activité. Les poissonniers emmitouflés finissaient leurs étals, les vendeurs de fruits et légumes montaient leurs tables avec minutie et rapidité. Les tas soigneusement dressés s'offraient aux regards avec envie. Les louchebems regardaient une dernière fois leurs vitrines avec satisfaction, avant d'aller boire un petit café au bistrot du coin. Les klaxons dans les rues avoisinantes se faisaient déjà entendre. Quelques automobilistes imprudents s'étaient laissés prendre derrière une benne à ordure, et ils manifestaient vivement leur impatience. Les éboueurs, quand à eux, continuaient leur travail indifférent. Un camion de livraison bloquait une rue adjacente, interdisant aux voitures prisent au piège toute possibilité de fuite. Le livreur aguerri tançait les impatients mécontents d'un: « Et! Ho! Moi je bosse... coco !» Chacun des intervenants étant intimement persuadé d'avoir une mission divine à réaliser dans les plus brefs délais. Quelques noctambules, fatigués, le teint blafard, hâtaient le pas, sous les dernières lueurs des réverbères, pour aller retrouver les bras de Morphée. Une devanture de bistro illuminait cinq guéridons, dix chaises, et un carré de trottoir. Un chat noir trottait sur le rebord d‘une goutière, moi, je finissais d‘astiquer le comptoir de mon bar. Deux travestis extravertis finissaient leurs verres et leurs péroraisons grandiloquentes sur leur nuit de turbin, au bois, qui se trouvait non loin de là. Un louchebem entrait en lançant à la cantonade « Salut les filles, et tant pis si je me trompe »
Je lâchais un « bonjour!» Tout banalement. J'avais encore la tête sur l‘oreiller. Il s'avança vers moi, un gros casse dalle serré entre ses pognes monstrueuses. Il me répondit: « Toi aussi tu reviens du bois ? Ça t'en fais de ces journées à la con, dis, t'as bien travaillé au moins? Alors, sers moi donc un de ces petits remontants dont tu as le secret, histoire de me faire descendre tout cela. »
- Loulou, une des travailleuses de la nuit, lui répliquait tout de go: « Ah ! Chéri, tu tombes bien, on cherchait justement un con pour nous offrir un dernier petit coup. On a une de ces bouches pâteuses, dont tu ne peux même pas t'imaginer l‘ampleur. »
-Le louchebem: « Je rince pas les bidets, moi! Et sûrement pas au champagne. Rentres chez toi avant que la mondaine ne t‘embarque. » L'autre fille s'approchait du boucher et l'enlaçait de ses longs bras affectueusement. Elle devait mesurer au moins vingt centimètre de plus
que lui, et pourtant, il était déjà de taille honorable, mais entre ses bras, il paraissait tout petit. Le boucher se sentit gêné, et ce n'était pas dans ses habitudes de se laisser prendre au dépourvu, lui qui avait pourtant la répartie cinglante, ne pût que répondre: « C'est bon! Marc, ressers leur donc un coup... mais fais vite, ma femme va se pointer. »
-Loulou: « Oh! Merci mon loup, toi tu as toujours su parler aux femmes. Viens donc nous voir un jour où la tienne aura la migraine, on te consolera. Tu ne le regretteras pas, tu peux nous faire confiance. »
Les deux laborieuses de l'hombre, remercièrent leur bienfaiteur, et acceptaient de bon cœur cette dernière tournée, avant de rentrer dans leurs pénates. Tout ce petit monde se connaissait depuis des années, et je comprends qu'une personne étrangère au quartier, assistant à cette scène, puisse trouver cela surréaliste. Le bignole du vingt deux entrait à son tour dans l'estaminet. Il venait de rentrer ses poubelles, et de balayer son périmètre de trottoir. Il profitait d'un moment de répit pour venir s'en jeter un derrière le gosier. Il regardait la pendule suspendue sur le mur de la salle du fond. Huit heure moins cinq, il n'était pas en retard. Non, en effet, deux minutes après, un vendeur en accessoire auto qui travaillait dans une boutique au coin de la rue, faisait son apparition dans l'établissement. Ces deux là se connaissaient aussi depuis des lustres. Ils avaient pris l'habitude de se retrouver ici, tous les jours ouvrables de la semaine, à la même heure. Le dernier arrivant saluait l'assemblée, et posait sa sacoche sur le zinc. Le bignole finissait son verre de calva, le réglait, et commandait cette fois deux verres, un pour lui, et l'autre pour son ami: un double calva, et un petit marc de bourgogne. Le vendeur d'accessoire auto ne prenait que des petits verres, il fallait qu'il reste raisonnable, la journée ne faisait que commencer. Ils discutaient de tout et de rien, et surtout de rien en particulier. Quelques instants passèrent, et après un bref contrôle sur la pendule du café, afin de vérifier qu'ils étaient bien dans les temps, le vendeur d'accessoire auto recommandait une tournée: un petit et un double. Après un échange de mots variés sur des sujets qui l'étaient tout autant, et un sec mouvement de la tête vers l'arrière, afin de faciliter la descente du précieux breuvage, le bignole recommandait deux verres... enfin trois. C'était toujours le même cérémonial, le bignole demandait que son ami soit resservi deux fois sur sa tournée, afin qu'il ne soit pas léser sur le prix. Le bignole avait des principes: il ne transigeait pas avec. Le vendeur d'accessoire auto hochait la tête de gauche à droite, non! Non! Ce n'était pas grave, affirmait-il, bon! Pour ne pas désobliger son ami, il acceptait finalement. Puis le vendeur auto remettait la sienne, et pour plaire à son ami, il se fit servir deux marcs sur sa tournée. Huit heure cinq, le vendeur d'accessoire auto était en retard, il s'excusait auprès de son ami, mais il devait partir travailler. Ils demandaient donc leur compte: le bignole devait quatre grands calvas et huit petits marcs, le vendeur d'accessoire auto tout autant. Les marchands de primeur venaient au casse croûte, ils venaient de finir leurs étalages et n'attendaient plus que le chaland. Les fromagers arrivaient à leur tour, enveloppés d'effluves innommables, suivit par un vendeur d'épices éternuant sans cesse, puis les charcutiers faisaient

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