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Les profondeurs de l'oubli

 Extrait du roman: Parce qu'il n'y a rien de plus fantastique que la vie

Alconick se retrouve dans les marécages du golf du Morbihan. Il cherche un mémoire du début des temps.  L'endroit est inquiétant


Introspection dans les profondeurs de l’oubli
    Alconick longeait depuis déjà deux longs jours la rive méandreuse qui hésitait encore à choisir entre la terre vaseuse et l’eau glauque. Des joncs jaillissaient vers le ciel comme des lances hostiles pointées vers la lumière. Un entrelacs indistinct de végétaux tapissait la surface verdâtre des bords de l’eau. Quelques nénuphars aux reflets rafraîchissants virevoltaient leurs longues feuilles aux grés du frissonnement de la brise. Une myriade d’insectes de toutes sortes occupait l’espace. Certaines voletaient lourdement, d’autres sautaient de feuilles en branches alors que d’autres barbotaient de façon plus ou moins grotesques. Quelques ragondins pataugeaient de ci delà, tandis que quelques serpents ondulaient rapidement dans un silence glacial comme posés délicatement à fleur d‘eau. Alconick se repaissait de ce spectacle unique, tout en se concentrant sur le chemin qu’il ne devait surtout pas perdre. Des échassiers trempaient leurs interminables échasses dans la vase, méticuleusement, comme pour ne pas déranger la faune  aquatique, ou ne pas salir leur majestueux plumage. Le soleil  déclinait déjà à l’horizon, comme pressé de quitter ce lieu étrange. Alconick s’aidait de son interminable bâton pour sonder l’avant du chemin, la végétation dense semblait vouloir lui imposer la direction à prendre. Des saules ébouriffés laissaient retomber par-dessus le chemin, leurs lourdes ramures fatiguées, comme pour taquiner la surface de l’eau et y puiser un peu de repos. Des lianes paraissant sortir des profondeurs obscures, elles s’agrippaient aux branches des arbres qui avaient commis l’imprudence de s’approcher de l’onde; et là commençait un interminable combat d’apparence pourtant inerte. Qui de l’arbre ou de la liane en sortirait vainqueur, qui arriverait à arracher l’autre de son environnement natal. Alconick scrutait le ciel pour en apprécier l’instant présent, de toute évidence le jour refermait son ouvrage: il fallait se hâter. Une grenouille verte traversa le chemin, sa journée terminée, pour retrouver son foyer. La brise du soir qu’un vent marin attisait, s’agitait, les nuages dans le ciel filaient et les oiseaux quittaient le marais. Des senteurs âpres épicées, s’avivaient par la baisse de la température, et s’épandaient sur le tapis de mousse qui recouvrait le sol et les troncs,  relevant de ce fait d’autres effluves. Enfin, au détour du chemin, à demi enterré sous un camouflage de verdure qui lui rongeait petit à petit les chairs, une embarcation reposait. C’était une simple pirogue creusée dans le bois d’un chêne, dans le fond de laquelle une pagaie gisait. Des algues vertes emprisonnaient toute l’embarcation comme pour effacer tout signe de présence humaine dans cet univers authentique. Alconick qui n’espérait que la trouver, hésitait à présent à monter dedans. Autant auparavant, l’embarcation délaissée semblait vouloir tout faire pour ne pas se faire remarquer, que maintenant qu’elle était sortie de sa  léthargie, elle remuait tel un beau diable dés qu’Alconick posait un pied dessus. Enfin, elle finie par se laisser dompter, et accepta que quelqu’un d’étranger lui monte dessus. Alconick n’était pas très fier et hésitait encore à s’éloigner de cette rive pourtant aussi inhospitalière. Il mit un certain temps à libérer la pirogue de sa cosse de végétaux aux épines redoutables. Enfin, comme plus rien ne justifiait son immobilisme, elle s’élançait sur l’onde d’un coup de pagaie. Il  fut le premier surprit de voir avec quelle aisance, le lourd tronc évidé, se frayait un passage entre cette eaux saumâtre envahie de végétation. Des lianes aux formes de spires traversaient l’espace verticalement, suspendues tout en haut de la canopée, sans que l’on puisse savoir précisément si elle sortaient de l’eau, ou bien si elle y entraient. Des fistulines aux sourires inquiétants épiaient l’intrusion de ce visiteur particulier, accrochées solidement à quelques vieux troncs centenaires. Des ululements glacials fusaient subrepticement pour disparaître aussitôt comme sortis de nulle part. Un  phasme immobile suivait de sa prunelle éteinte, le déplacement suspect de ce tronc d’arbre sur cette mare étale, du haut de la pointe d’une ramille qu’il avait prit comme modèle. Alconick observait en passant en dessous d’un impressionnant tronc d‘arbre mort, une interminable colonne d’une armée de fourmis qui ramenait à la fourmilière la collecte du jour, un inquiétant serpent pendouillait nonchalamment, enroulé autour d’une branche, ne sachant trop quoi faire. L’endroit renfermait une odeur rance de moisi et de pourriture. L’eau croupie sur un tapis de mousse, regorgeait d’une substance pestilentielle, dû probablement à la décomposition de quelques bêtes mortes. Alconick maniait admirablement la rame, et tout aurait été pour le mieux, si son interminable bâton couché à ses côtés ne dépassait de l’avant et de l’arrière de l’embarcation, et ne s’accroche en permanence à quelques végétations. L’endroit curieux semblait tout faire pour lui voler l’attribut de sa fonction. Les troncs des arbres centenaires, paraissaient posséder autant de face humaine, que la place l’y permettait. Certains visages semblaient l’observer tandis que d’autres semblaient s’animer dans un autre temps. Certains sourires se dessinaient, parfois empreint d’ironie. Des regards, auxquels ils n’auraient absolument pas fallu se fier, le  fixaient, des yeux gorgés de reconnaissance clignaient, en l’invitant à approcher. Des bouches pulpeuses s’entrouvraient pour laisser s’échapper une ribambelle d’insectes monstrueux. Le jour était parti, entraînant avec lui la moindre clarté. La pénombre aimait se promener, dans ces lieux humides. Elle n’en demandait pas moins pour se répandre, et obscurcir chaque parcelle qui avait auparavant échappé à son contrôle. Une nuit opaque recouvrait maintenant l’endroit, que ni même les yeux phosphorescents des habitants des lieux n’arriveraient à ranimer. Alconick continuait à progresser dans ces méandres devenus aveugles. Il ne lui restait plus pour s’orienter que les ululements lugubres qui traversaient l’espace de long en large. Il parvenait en ferment les yeux à localiser l’origine de ces cris, et en écoutant le clapotis de cette eau huileuse sur laquelle des myriades de petites bulles perlaient avant d’y éclater. Parfois, un bruit plus sourd se faisait entendre, un plouf sec et rapide, signe que quelque chose était tombé à l’eau. L’obscurité se dessinait maintenant distinctement, la canopée laissait passer quelques morceaux de puzzle de la voûte étoilée, qui venaient immédiatement se mirer dans l’onde ténébreuse, éclaircissant de ce fait l’endroit. Il restait des espaces vraiment noir, alors que d’autres l’étaient beaucoup moins. On arrivait dans cette obscurité à en graduer l’intensité. Parfois certaines choses se laissaient voir, alors que d’autres se laissaient deviner. Alors que la vie aurait dû se calmer, bien au contraire, maintenant elle redoublait d’intensité. Des cris effroyables répondaient à d’autres cris qui étaient encore plus inquiétants. Des feuillus bougeaient, et cela n’était pas dû qu’au vent. La rame poussait l’onde vers l’arrière de l’embarcation avec prudence. Parfois, le manche de bois rencontrait quelque chose sur son passage, et quelques fois, ce quelque chose n’était pas si inerte que cela. Alconick, qui ne perdait pas un éclat de ciel du regard, tentait de s’orienter avec le peu d’étoiles qui se trouvaient au dessus de sa tête. Des lucioles s’allumaient comme pour orienter quelques feux follets égarés. Alconick suivait cette lumière fugace, c’était le signe qu‘il espérait. L’odeur semblait matérielle tellement elle était pestilentielle et omniprésente, elle paraissait s’étendre de toute sa longueur au dessus des flots, flottant dans les airs au rythme de sa nonchalance. Les troncs d’arbres affichaient maintenant des mines inquiétantes, pourtant, Alconick ne leur avait jamais manqué de respect, ni attenté à leur existence, mais les esprits ont parfois des raisons que le commun des mortels ignore. Alconick avait maintenant tout le bas du dos mouillé ainsi que ses jambes et ses pieds. L’embarcation devait prendre l’eau, ou suinter toute l’humidité accumulée. Enfin, après un temps interminable, un ponton en rondins moussus indiqua que le voyage aquatique prenait fin. Alconick eut cette pensée fugitive d’une gravité pourtant inquiétante, il lui serait maintenant bien impossible de retrouver son chemin pour rentrer. Il n’avait jamais quitté le bord de la rive, pourtant,  à travers tous ces méandres fluviaux, il en avait fait du chemin. Bon nombres de ces cours d’eaux devaient se perdre à jamais au milieu du marais, et gare à l’imprudent qui s’y serait égaré. La pirogue allait s’enfoncer jusqu’à l’arrière dans un lit vaseux pour ne plus en bouger. Alconick monta sur le ponton mousu et rongé par tous les xylophages des environs; qui ne demandait apparemment qu’une seule bonne raison pour s’écrouler. Alconick ne voulait pas lui en donner l’occasion, alors que la pirogue, figée, refusait de bouger. Le sol, partout où Alconick posait le pied, était spongieux, aussi, le long bâton s’y reprit à maintes reprises pour sonder un chemin périlleux. La vie naissait dans ce milieu, et y mourait aussi. La nature pour survivre, se repaissait de ses restes en décomposition. Rien ici ne se perdait, tout se transformait, et de ses cendres renaissait. La végétation, sur cette terre plus ferme que le reste du marais, paraissait s’en satisfaire. Les troncs d’arbres semblaient beaucoup plus sains, si ce n’était ces écorces craquelées sous lesquelles grouillait tout un univers inquiétant. Des lianes indiscrètes pendouillaient mollement, d’où, quelques sangsues tombaient à la moindre odeur de sang. Des fougères se disputaient la places à quelques feuillus  de ronces et d’orties. La pénombre y avait fait son nid et ne quittait plus la place. Alconick avançait toujours, se laissant guider par son bâton. Sur la droite, un parterre de pieds bleus entamait une ronde parfaite, sous un halo de lune rousse. Un crapaud crânait fièrement assis sur son séant royal, et ne semblait pas vouloir bouger pour laisser passer qui que ce soit. Alconick ressentait tout cela plus qu’il ne pouvait le voir. Enfin, faisant confiance à son long bâton qui lui éclairait la voie, il avançait sans faillir. Des ombres furtives traversaient l’obscurité et se laissaient apercevoir. Que cela pouvait-il bien être ? Un loup hurlait au lointain, ou bien n’était-ce qu’un chien sauvage. La lune rousse jouait avec la canopée à cache-cache. De la mousse verdâtre dégoulinait en lambeaux lacérés, entremêlés dans des entrelacs de lierres au beau milieu du passage. Ce microcosme regorgeait de toute une faune microscopique effroyable. Des insectes suceurs de sang et porteurs de  maladies qui n’attendaient plus
 
qu’un signe pour se propager. L’humidité répandait son odeur tenace, le bois moisi exaltait, et quelques troncs morts se laissaient envahir par une couche pustuleuse de champignons visqueux. Alconick enfonçait ses mocassins lourdement dans ce sol en décomposition, et peinait à chaque pas à y retirer son pied. Son long bâton peinait lui aussi à échapper à la forte étreinte de cette végétation avide. Le bout s’enfonçait à n’en plus finir dans ce sol meuble, tandis que le manche luttait à défaire les végétaux entremêlés qui interdisaient le passage. Des petits yeux globuleux d’un rouge carmin liserés de pourpre clignaient maintenant dans toute cette végétation tout autours du pauvre Alconick qui n’en menait pas large. Ces milliers d’éclats de vie, étaient nés simultanément comme faisant partie de la même essence. Alconick pouvait ressentir ce même sentiment unique et étrange de curiosité, mêlé d’inquiétude de la part de ce regard aux milles yeux. Une pale lueur crémeuse rosé scintillait à présent devant Alconick, comme un feu glacé entre les franges de cette végétation qui acceptait dés lors de se dévoiler. Alconick attiré par cette lueur inespérée s’approchait d’elle. Un étrange édifice se tenait au beau milieu d’un renfoncement dans cette jungle dense. Cela avait la forme d’un champignon d’automne, tel un énorme cèpe avec son chapeau de chaume demi sphérique, qu’un mur de boue séchée cerclait en dessous. Une simple ouverture en rond vous indiquait l’entrée. Cette ouverture telle une bouche qui fait la moue, regorgeait de lumière. Alconick sut tout de suite que c’était là où il devait se rendre. Aussi sans trop y réfléchir, il posait son long bâton le long du mur, se voûta le dos, et entra dans cette bâtisse la tête la première. À l’intérieur, le contraste de lumière avec l’extérieur, était au début insoutenable. Alconick dut même étendre sa main au travers de son visage, bien qu’il ait déjà les yeux fermés, pour que cela soit quelque peu supportable. Il se risquait cependant, après quelques instants d’acclimatation, à jeter un regard tout autour de lui, pour répondre à son angoisse grandissante. La pièce ronde était ceinte de dizaines d’étagères parallèles soudées au mur, sur lesquelles des milliers de lampes à pétrole brûlaient. Alconick reconnaissait l’odeur si particulière de ce liquide visqueux qui se consumait. Au milieu de la pièce, une silhouette humaine assise en tailleur, immobile, occupait le lieu. Cette forme était recouverte d’une espèce d’étoffe végétale gris vert qui la recouvrait de la tête au pied. Seul, un regard noir sans vie pointait en dessous d’un revers de capuche. Alconick luttait toujours contre cette luminosité extrême, il avait beau cligner des yeux sous la paume de sa main érigée en visière, des pointes de douleur lui brûlaient les rétines. Le mobilier était assez sommaire, voir inexistant, excepté ces luminaires posés sur ces étagères. Alconick ressentit un frissonnement le long de sa jambe qui le fit sursauter. Cela avait été si rapide que tout son corps en tremblait encore, comme l’onde de choc d’un
 
éclair. Alconick avait lancé son regard meurtri à la poursuite de cette cause fatalement matérielle. Entre ses jambes fuyait un petit personnage grotesque qui trottinait en claudiquant. Son petit habit vert aurait pu faire penser à celui d’un korrigan. Mais cette apparition disparue aussi vite qu’elle était apparue dans un halo de lumière. Dehors, le vent hurlait entre les branches, et son souffle glacé pénétrait par l’entrée béante. Les milliers de petites lumières en tremblèrent d’effroi de peur de disparaître, puis, au contraire, s’avivèrent davantage. Alconick se sentait défaillir, noyé dans ce sentiment étrange d’être mal à l’aise et aussi envahi de peur. L’odeur des lieux lui tournait la tête, mélange  d’hydrocarbure brûlé mêlé de cette émanation de putréfaction en pleine activité.
    - « Je m’attendais à ta venue depuis fort longtemps »
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