Pérégrinations

 

            extrait: Parce qu'il n'y a rien de plus fantastique que la vie

Le peuple de la mer faisait le commerce dans toute la méditerranée, et passait aussi les colonnes d'Hercule pour commercer avec toutes les colonnies implantées sur tout le littoral Atlantique et sur toutes les îles

                       Chapitre 8

     Pérégrinations anecdotiques autour de la mer du milieu.




     Le voyage à l’aller avait été d’une pénibilité à n‘en plus finir, à cause premièrement des caprices d’Éole, le dieu des vents. Pourtant, les marins avaient sacrifié dix agneaux pour honorer cette incontournable divinité de la navigation. Mais voila, parce que Théosphylos Pargassimos, riche négociant, avait affrété une partie du navire pour transporter ses amphores d’huile et de vin de part et d’autre de la mer du milieu, et qu’il avait offert à la divinité Hermès un magnifique taureau blanc : le dieu des vent jaloux,  
avait décidé de bouder. Théosphylos craignait que s’il venait à mourir à l’étranger, le psychopompe Hermès ne le conduise jamais jusqu’à l’Hadès, de l’autre côté de l’océan, dans l’île des bienheureux. Sans vent, les marins devaient naviguer à la rame toute la journée, et cela pendant de longues semaines. Cela cassait les bras et le moral de tout l’équipage. Poséidon avait été, lui aussi honoré, mais il reprochait que l’on ait sacrifié un taureau, emblème de sa puissance, à la divinité des voleurs.  Il avait revêtu son manteau des mauvais jours, et jouait avec les marées comme un enfant capricieux, repoussant toujours en arrière le navire et la barge qu’ils avaient amarrés derrière eux. Puis le dieu de la mer qui décidemment s’acharnait sur eux, déclenchait d’épouvantables tempêtes, écrasant sur place l’embarcation sous des trombes d‘eau, comme pour l‘enfoncer et le noyer dans les profondeurs de la mer. Le navire comme une coquille de noix tanguait de tous côtés, balayé par d’épouvantables lames qui s’acharnaient à le faire chavirer. Puis, un beau matin, alors que le beau temps était revenu comme par enchantement, les rameurs furent indisposé les uns après les autres, l’hombre insidieuse de la maladie sournoise s’était invité à bord. Mais quel mauvais génie s‘acharnait-il donc, cette fois encore, sur tout l‘équipage ? La mort éternelle maraudeuse, avait repéré cette embarcation flottant au gré d’une mer devenu huileuse, et avait jeté son dévolu sur cette proie facile. Elle y avait trouvée la table bonne, et ne voulait plus quitter les lieux. Certains marins encore préservés du fléau préférèrent se jeter à la mer et rejoindre la côte à la nage. À l’escale suivante, au marché du travail, plus personne ne voulait s’engager sur un bateau marqué par le malheur; les augures n’étaient pas favorables pour poursuivre le voyage. De plus, cet effectif réduit, engendrait chez les autochtones, des vocations de pirateries. Un jour, aux aurores, alors qu’ils mouillaient au large des côtes, comme à l’accoutumé, des multitudes de rafiots débordants de brigands armés jusqu‘aux dents, surgirent des vapeurs de la brume matinale, sur une mer étale couleur gris vert. Ces soudards tentèrent l’abordage avec une férocité atroce Ils étaient tous ivre de rage. Heureusement que pied de vigne et ses marins encore valides, n’étaient pas des manchots, et savaient se battre. Ils rejetaient les pirates à la baille rejoindre les démons des profondeurs, au fur et à mesure qu’ils montaient sur le pont. Plus ils en tuaient, plus les embarcations sortaient des ténèbres, et tentaient de se frayer un passage et d’aborder à leur tour. Certains pirates moins téméraires, essayèrent tout simplement de détacher la barge et de la voler. Pied de vigne et quelques uns de ses gars descendirent sur la barge, et la défendirent bec et ongles sur des bâches détrempés maintenues par des cordes tendues, entres des caisses et des ballots. La bagarre était à son paroxysme, l’adrénaline bouillait dans les veines, et les lames d’airain rougies ne séchèrent pas de toute la matinée. Au loin, arrivaient à leur tour, tous les petits pêcheurs des environs. Ils s’étaient tous donnés le mot, La misère créait de véritables écumeurs des mers assoiffés de rage et d’envie. Il fallut attendre le soleil de midi pour enfin espérer crier victoire, et pouvoir repartir au plus vite. Bien leur en prit, car un roitelet local prévenu des combats, et de la curée qui se dessinait, envoyait quelques embarcations pour prétendre à sa part de butin. L’océan n’était plus qu’une tache sanguinolente qui s’étalait tout autour du navire jusqu’à l’horizon. Les jours suivants, l’annonce de leur victoire les précédèrent de port en port, ce qui découragea d’autres candidats à la piraterie d’agir. Mais tout cela ne nourrissait pas son homme. Pour couronner le tout, à cause d’une mauvaise saison d‘été, les récoltes de blé avaient été catastrophiques partout où ils passaient, ce qui rendait les tractations difficiles; car le blé était la monnaie d’échange par excellence. Enfin, bon an mal an, ils avaient réussi à atteindre leur lieu de destination finale : une des innombrables îles de la mer du milieu. Un clan du nord de l’île, en guerre depuis déjà un certain temps, avait commandé de l’armement militaire. Cette île, pied de vigne la connaissait que trop bien pour y avoir vu le jour. Gaia était la déesse mère de la terre, et cette île sa matrice. Pied de vigne, que ses compagnons appelaient Ménégidksos, était descendu à terre pour concrétiser la transaction marchande avec ses compatriotes. Il avait emmené avec lui quelques-uns de ses compagnons d’armes, de quoi donner du poids à l’argumentaire, au cas ou…Ils avaient laissé le navire en rade à quelques encablures du petit port, et avaient accosté avec la chaloupe. La cité commençait aussitôt débarqué, et continuait sur le versant d’un mont rocheux jusqu’à son sommet, où se tenait là le palais royal. La rue principale ensoleillée s’égarait rapidement dans d’innombrables ruelles qui se perdaient dans les secrets d’une architecture complexe. Les hauts murs interdisaient aux rayons solaires de passer, et ne permettaient qu’à une douce lueur ambiante de flirter avec les zones d’hombre. L’endroit était rafraîchissant à souhait, et même les commerçants qui occupaient chaque recoin, tenaient les lieux sereins. Mais ce climat lénifiant aurait dû les alerter, aussi, quelle ne fut pas leur surprise de constater qu’ils arrivaient trop tard. Depuis leur dernier passage, une invasion barbare avait réussit à mettre tout ce territoire sous sa coupe. Et tout juste avaient-ils fait ce constat, qu’une troupe de soudards étranger leur tombèrent dessus, et les firent prisonniers. Le surnombre de ses guerriers avait convaincu les marins de coopérer, de rendre les armes, et de suivre bien gentiment les maîtres du moment. Les marins se retrouvèrent tous attachés les mains dans le dos, les uns aux autres, par une corde de chanvre. Ces reîtres les emmenèrent contraints et forcés, là où, ils avaient prévu de se rendre libre. Le roi de cette armée d’occupation les attendait, avachi sur le trône laissé vacant. Il s’était accaparé de l’ancienne cité état, et en avait fait la sienne. Ce peuple se disait pacifique et cultivé, privilégiant l’agriculture et l’art dans tout ses états, et la discussion à la guerre. Ménégidksos ne demandait pas mieux que de le croire. Le palais avait été décoré de toutes sortes d’objets d’apparat plus belles les unes que les autres. Une statue en marbre de Paros représentant Endymion, un pied posé sur un socle, l’autre en l’air accueillait les visiteurs les bras ouverts. Le roi qui voulait être reconnu comme tel, demandait de ses visiteurs inopinés, un signe de dévotion ostentatoire, comme preuve de leur total respect. Ménégidksos déclarait ne rien posséder d’autre que sa vie, mais était prêt à s’en servir pour proclamer aux quatre coins du monde, la grandeur et la culture de ce roi et de son peuple. Ce roi comprenait aisément que ces marins honnêtes et droits, travaillaient pour différents affréteurs, et qu’ils n’étaient pas propriétaire de leur chargement, mais certaines circonstances particulières obligeaient parfois à transgresser ses règles morales. Hormis la barrière de la langue, et de la culture, qui empêchaient les deux interlocuteurs de vraiment se comprendre, un infortuné commerçant et un militaire victorieux n’avaient pas le même angle de vue des choses. En définitif, ce qui ressortait de tous ces palabres, étaient que ces vainqueurs immodestes ne désiraient rien acheter à ces honnêtes commerçants, mais, accepteraient néanmoins leur navire et tout leur fret en présent. Comme ils ne parvenaient définitivement pas à s’entendre, le roi les suspecta de regretter le gouvernement vaincu. Tout cela parce qu’ils ne partageaient pas la même culture et n’honoraient pas les mêmes dieux. C’est vrai que ce peuple aimait la polémique et les interminables discussions, ce qui était encore plus pénible que tous les combats du monde. Le roi magnanime, était prêt à leurs offrir la vie sauve, s’ils acceptaient de le servir loyalement. Ménégidksos fit mine d’accepté cette mirifique offre qui ne leurs offrait en échange de tous leurs espoirs, que l’extrême joie de devenir leurs esclaves. Finalement, le roi convaincu d’avoir été compris, décidait de renvoyer à bord le capitaine du navire, et lui demandait, comme seul preuve de sa totale soumission, de ramener le navire au port, afin de pouvoir décharger en toute sécurité la précieuse cargaison. La mer capricieuse, engloutissait trop souvent les navires restés ancrés dans la baie, et en plus l‘endroit pullulait de pirates. Bien évidemment, ses compagnons d’arme qui avaient été fait prisonniers en même temps que lui, resteraient au palais en attendant son retour; non pas qu’il doute de leur bonne fois, mais il y avait tellement de chose à faire pour remettre un peu d’ordre dans cette demeure ravagée par la guerre. Le roi ordonnait donc de libérer le capitaine sur le champ. Le soldat, qui tenait le bout de la corde entravant les prisonniers les uns aux autres, se mit à détacher le premier de cordée. Bien mal lui en pris, car une fois détaché, Ménégidksos sauta sur le soldat qui venait de le délier, et lui vola son glaive d’airain. Puis en trois enjambées, il parvint jusqu’au trône où il plaçait sous la gorge du nouveau monarque, la lame effilée de son arme. Exploitant cette confusion pour leur propre compte, comme ils étaient tous attachés à la même longe, ses compagnons profitèrent de ce providentiel relâchement dans leurs étreintes, pour se libérer à leur tour. Les soldats du palais ne surent comment réagir dans toute cette précipitation. On sentait bien que de nouvelles ambitions hésitaient à se déclarer. Un roi de disparu, dix autres prétendants étaient prêt à reprendre immédiatement l‘emploi. Bienheureux fut la réaction immédiate de ce monarque, qui bien que dans une fâcheuse posture, reprenait aussitôt les rênes du pouvoir. Il ordonnait à sa garde de baisser les armes et de laisser partir ses invités indélicats. Il n’en fallut pas en entendre davantage, pour qu’aussitôt, les marins libres mais désespérément désarmés, filèrent à toutes jambes à travers les méandres de cette cité. Ménégidksos attendit un long instant, la lame enfoncé dans le gras du cou du souverain qui n’en menait pas large, puis, jugeant l’instant propice, il giclait à son tour. Il sautait à travers une fenêtre, et atterrissait sur une petite terrasse en contrebas. De la terrasse, il passait dans une cour, de la cour dans un potager, puis après avoir récupéré un bras d’une ruelle tortueuse, il regagnait le port et retrouvait ses hommes qui déboulaient au bas de la rue. Derrière eux, des clameurs hostiles les poursuivaient de ruelle en ruelle en écho. Ce charivari épouvantable ne semblait pas le moins du monde affoler la population autochtone, ces villageois sous le joug de l’occupation, ne bronchèrent pas au tocsin d‘alerte d‘un monumental gong en cuivre. Ils ne firent rien non plus pour facilité la circulation des poursuivants, bien au contraire. Les fuyards sautèrent du port dans la chaloupe. Ménégidksos et ses gars tiraient comme des désespérés sur les rames, mais la chaloupe paraissait adhérer à la mer et ne pas vouloir avancer. Derrière eux, sur le quai, les soldats arrivaient, et montaient sur de lourdes embarcations au repos. Leurs voilures étaient baissées, enroulées et liées au mat, les rames interminables levées vers les cieux regardaient les mouettes se disputer entre elle. L’ancre reposait profondément au fond de la rade et ce n‘était pas ces deux matelots maigrelets qui arriveraient à la remonter. D’autres soldats bandaient les arcs en direction de l’horizon. Des jets de flèches s’élancèrent dans les airs en sifflant et s’écrasèrent dans les flots tout autour de la chaloupe. Enfin, les fugitifs atteignirent leur navire qui n’attendait plus qu’à partir; les marins restants à bord avaient hissé les voiles et plongé les rames dans les flots et commencé les manœuvres. Alors qu‘au port, aucun bateau n‘avaient encore réussi à bouger. Heureusement que le dieu de la mer était bien disposé; il est vrai qu’il était l’un des fils de Gaia, et qu’il se devait de les aider. Poséidon cette fois demanda l’aide d’Éole, et tous deux aidèrent le navire à reprendre le large au plus vite. L’île de Ménégidksos disparu peu à peu derrière l’horizon. Après cet épisode à la fin miraculeusement heureuse, ils cabotèrent d’île en île, de crique en crique, de port en port, à la recherche de clients sérieux. Ils trouvèrent dans une bourgade perdue au bord de l’eau, un chargement d’huile odoriférante et de fèves à transporter dans une autre île plus au sud. La traversée fut rapide et aisée. Là, ils prirent des pèlerins qui voulaient se rendre à Sidon. Des commerçants ambulants payèrent également le prix de la traverser pour eux, et tout un tas de marchandises hétéroclites. Ce commerce de voyagiste n’était pas très rémunéré, vu les risques encourus : les soulèvements des passagers étaient fréquent, et cela pour un oui ou pour un non. Ils imploraient tous au départ pour pouvoir embarquer, mais à partir de l’instant qu‘ils avaient été acceptés à monter à bord, et qu’ils avaient payer leur place, ils se prenaient pour les propriétaires des lieux. Ils transportaient tous d’impressionnants bagages qui encombraient dans un désordre invraisemblable tout le pont, et possédaient des tas animaux puants et bruyants. Sans parler de toutes ces maladies que l‘on pouvait attraper à côtoyer ces va-nu-pieds. Mais l’affréteur du navire demandait toujours de rentabiliser au maximum les traverser. Et ce n’était pas avec ces affaires miséreuses qu’ils avaient faites jusqu’à présent qu’ils pourraient satisfaire leur employeur. Mais aussi, et ce qui était moins avouable, cela permettait au capitaine et à tout son équipage d’arrondir leur maigre solde. La tradition voulait que l’armateur se garde la moitié de tous les bénéfices fait avec son navire, l’équipage se partageait l’autre moitié. Avec cette moitié, le capitaine devait payer les frais du voyage. Sur ce qui restait, il revenait au capitaine dix parts, au second cinq part, et cela jusqu’au simple matelot, qui lui n’avait qu’une seul part. Sur chaque solde des marins était retenu les acomptes accordés, et le prix des accessoires du bord qu’ils avaient cassés. Sidon ne se trouvait pas loin, sur la côte orientale de la mer des milieux, à peine à une journée de navigation dans le meilleur des cas, si Zéphyros était bien luné. La traversée se passa relativement bien. Il fallut évidemment jouer du fouet pour faire respecter les règles élémentaires du bord : en premier lieux, ne pas bouger de l’emplacement qui avait été attribué à chacun des voyageurs au départ.  Il fallait répartir les charges sur le pont très scrupuleusement pour ne pas chavirer, et les voyageurs assis en tailleur, serrés les uns contre les autres, n’avaient pas le droit de bouger: gare aux contrevenants. On mangeait, on dormait, on faisait ses besoins, sans quitter sa place, tel était la loi du bord. La durée du voyage n’excédant pas au grand maximum une journée et demie, il fallait prendre ses précautions avant de partir, les animaux quand à eux, attachés ou en cage, n‘avaient cure de tout cela. On ne parlera pas des effluves pestilentiels qui enveloppaient tout le navire, des lieux à la ronde, à la fin de chaque traversée de ce genre. Le fouet n’arrêta pas de chanter dans les airs de toute la journée. L’après midi fut fort orageux, il fut demandé aux matelots de garde, de jouer les gros bras pour séparer une bagarre entre des pèlerins énervés pour un regard échangé. Il fallut en assommer certains, en entraver d’autres. Le soir, on dut jeter un par-dessus bord un voleur prit la main dans le sac, cela pour faire respecter les bon usages. Sidon était une des ces innombrables cités états, satellites de la très grande puissance maritime du peuple de la mer du milieu. C’était des navigateurs expérimentés, commerçants et pacifiques. La cité se trouvait sur un petit promontoire, face à une rangée d'îlots le long de la côte, et délimitée, au nord et au sud, par deux modestes cours d'eau. Le navire accostait pour une fois dans ce port réputé pour sa sûreté et l’internationalité de son commerce. Les passagers et tout leur bestiaux débarquèrent dans un désordre impressionnant, et se mêlèrent sur le quai, à une foule tout aussi désordonnée, dans un vacarme inouï. Le capitaine donnait quartier libre à l’équipage pour toute la nuit. Cela était assez rare pour le faire remarquer. Mais comme les voyageurs les avaient payé en nature, ils se devaient d’échanger tous les produits périssables avant de repartir. Le port était un véritable marché ouvert où tout se vendait et s’achetait. Les marins se réjouissaient à l’avance de ce temps voué exclusivement à la détente. Ménégidksos quand à lui, à part la perspective réjouissante de passer une bonne soirée, se faisait fort de trouver des clients pour son chargement d’armes. Sidon, se trouvait ceint d’une muraille de plus de deux mètres d’épaisseur, ouverte par de monumentales portes, dont celle du port décorée par deux dauphins sculptés se faisant face. Le soleil écrasait de chaleur une terre morte, brûlée et ocrée. La poussière envahissait tout l’espace, les narines et les yeux. Des tourbillons façonnés par le vent soulevaient de terre le sable, et le dispersait alentour au gré de son humeur. Sur le quai, trois femmes passaient juste devant la passerelle, elles devaient certainement être de condition aisée, elles portaient, pour deux d’entre elles, des tuniques moulantes et transparentes, d'étoffe de chanvre rose, alors que la troisième portait une tunique d’un pourpre resplendissant. Alors que la grande majorité des autres femmes, présentes ce jour là, étaient drapées d’une grande étoffe de lin blanc, bleu ou rouge de qualité moindre. Les individus de sexe masculin portaient les habits traditionnels de leur pays d‘origine; ce qui laissait supposer qu’une multitude de nationalité se croisait ici. Assis sur une marche devant une maison, des vieux, drapés d‘un châle en lin, paraissaient harassés par toute l’agitation qui se déployait devant leurs yeux éteints. Ménégidksos se dirigeait directement vers le lieux qu’il s’était fixé de visiter : chez la tante tape dure. Cette brave femme qui ne comptait plus son âge, était réputée de tous les côtés de la mer du milieu pour son hospitalité chaleureuse. On lui prêtait tellement d’aventures, que très certainement tous les marins, de même que leur père, et le père de leur père, avaient dû la rencontrer au moins une fois dans leur vie. Elle était également connue pour son goût pour les additions à rallonge. Imprudent était celui qui ne payait pas ses consommations au fur et à fur mesure. Il pouvait se retrouver avec une note des plus lourdes à régler, et que l’on ne pouvait en aucun cas contester. Cette maison respectable ne supportait pas les mauvais payeurs; elle expliquait aux clients récalcitrants, qu’ils avaient consommés sans aucune modération, et sans compter. La tenancière déployait dans un premier temps toute son répertoire de femme outragée, puis, si cela ne suffisait pas, la garde du roi local qui lui était entièrement dévouée, venait régler le litige en toute impartialité. Tous les pêcheurs à la ligne du port, pourraient en témoigner. Les poissons habitués à être nourri de la chair des mauvais payeurs, ne quittaient plus les abords du quai. Aussi, pour être sûr d’attraper une bonne friture, il suffisait d’appâter en versant dans l’eau deux ou trois gouttes de bon vin. Ménégidksos rentrait dans ces lieux bénis comme si c’était chez lui. À l’intérieur, la pénombre était omniprésente et rafraîchissait l’endroit. Assis par terre, sur des tapis sales, élimés, décolorés, des clients à l’air sérieux discutaient entre eux. Une odeur rance, au départ, vous agressait les muqueuses, puis d’autres effluves d’origines suspectes venaient vous titiller les sens. La tenancière, bonne commerçante et possédant des yeux de chat, reconnu tout de suite son vieil ami et client, et aussitôt laissa exploser sa joie. Ménégidksos et Inanna, car tel était son véritable nom, s’enlacèrent et s’embrasèrent tendrement. Ménégidksos raconta les péripéties de son voyage pour venir jusqu’ici, Inanna lui offrit son premier bol de vin. Elle lui dit que sa marchandise trouverait ici preneur, car ce genre d’article était très prisé par ici. Elle hélait un de ses clients qui savourait sa coupe dans le fond de la salle obscure. Le vin venait des environs, et n’avait été coupé à l’eau que très modérément, et que par la tenancière des lieux, d‘où son goût authentique. Alors qu’ailleurs, ce précieux breuvage, qui vieillissait mal et supportait d’autant moins le transport, était remplacé par différents liquides, pour certains inavouables, au fur et à mesure que ses transporteurs en savouraient ses vertus. Plus le vin allait loin, plus son aspect, sa couleur, sa texture changeait. Inanna hélait de nouveau son client assit au fond de la salle qui racontait lui aussi ses aventures à un parterre de voyageurs en transit. Ce dernier se relevait, et vint au devant de sa bienfaitrice. C’était une personne qui imposait le respect de par son allure distinguée. Il était enroulé dans un grand châle laineux qui lui retombait sur l’épaule. Ce textile était tissé de différents fils de couleur, dont le vert et le rouge, qui dessinaient d‘étranges formes géométriques. Il chaussait des sandales en cuir. Des tas de colliers suspendaient à son cou, sûrement des grigris, et aussi, de chacun de ses lobes tombaient plusieurs boucles d’oreilles miroitantes. Ses cheveux, ainsi que sa barbe d’un noir étincelant, étaient frisés au fer, et tombait en rouleau. Son teint était halé et son visage entretenu par des crèmes de soin. Inanna fit les présentations, ce haut personnage ainsi que la tenancière des lieux étaient originaires du même pays : Eshnunna, sous le règne d’Ibal-pî-El. Cet homme se faisait appeler Tupšarru. Il travaillait pour le roi, son cousin, il était chargé de noter sur des tablettes d’argile, toutes les transactions marchandes que ses compatriotes mandatés par le souverain faisaient dans cette ville. Ils achetaient toutes sortes de choses diverses, et payaient en étalon d’orge. Tupšarru était fasciné par la côte et la mer du milieu, et toutes ces cultures qui s‘y mêlaient. Il était très cultivé et avait dû faire de nombreuses années d’études pour en arriver là; mais sa véritable passion était le commerce, et surtout le marchandage. Il aurait pu passer des heures à discuter le prix, même si à la finale, il ne gagnait que trois fois rien, même si à côté de lui, un autre marchand proposait dès le début ce tarif là. Tupšarru n’achetait pas d’arme ici, la culture militaire chez lui était bien trop différente. Les glaives, les casques, les cnémides, les cuirasses l'aspis et le dieu de la guerre n’étaient pas du tout pareil. Mais, comme cela était la seule marchandise que cet honnête commerçant proposait, La perspective de pouvoir négocier, suscitait en lui toutes les convoitises.  Ménégidksos et lui discutèrent fermement, pour finalement sympathiser au bout de plusieurs coupes de divin nectar. Tupšarru en revanche, recherchait la meilleure façon de se procurer du murex, la base même pour fabriquer une teinture très prisée chez lui. Ménégidksos ne faisait pas le commerce de ce genre d’article très rare et surtout, ce négoce était le privilège du peuple de la mer du milieu. Tupšarru s’interrogeait sur les origines de son interlocuteur et de son affréteur; aussi quand il apprit, que celui-ci passait régulièrement les colonnes d’hercules, et remontait jusqu’aux îles Cassitéride : ses yeux s’illuminèrent. Cet érudit possédait chez lui, une carte du monde peint sur une énorme plaque circulaire en calcaire. Pour lui, la terre était ronde, il en était convaincu. Il l’avait démontré à l’école à l’aide d’un gnomon. Aussi pour le vérifier de visu, il aurait rêvé parcourir toute la surface de la terre à travers toutes ses voies navigables, et cela pour en témoigner de la véracité. Tupšarru questionnait, celui qui était devenu subitement son ami, pour savoir si il était déjà allé à Atlantide. Évidemment, lui fut-il répondu, et pas qu’une fois; toutes ces îles regorgent de précieux minerais : l’étain, l’or…
-« Et…l'orichalque, demandait intéressé le diplomate, en ouvrant largement deux grands yeux avides. Évidemment! Lui répondit de nouveau celui qui connaissait quelques mots dans la langue maternelle de sa vendeuse de boissons alcoolisées préférée, évidemment. Et des oranges d’or, en as-tu déjà goutté ? Évidemment! Et l’île des bienheureux, y est-tu déjà allé ? Évidemment! Ce haut dignitaire étranger, fervent adorateur du dieu Tishpak, savait apprécier également les cultures locales. Pour ne pas laisser refroidir l’ambiance, Inanna, professionnelle consciencieuse, remplissait les coupes au fur et à mesure qu’elles se vidaient. Elle avait ainsi du travail assuré pour toute la soirée. Tupšarru proposait alors un marché décisif, il s’employait à trouver un acheteur, et à fourguer toute la marchandise au meilleur prix, en contrepartie, Ménégidksos s’engageait à le conduire de l’autre côté des colonnes d’hercule. La nuit parut courte et légère, et au matin, l’addition fut longue et chargée. Les deux nouveaux amis remontaient le quai, à présent désert, avant même que les premiers rayons solaires n’apparaissent au dessus des terrasses des maisons blanchies à la chaux. Dans l’eau trouble, au bord du quai, des poissons chagrinés regardaient leur repas s’éloigner. Il ne fallut pas beaucoup de temps à Tupšarru pour trouver des clients intéressés par tout un arsenal rutilant, et un temps infini pour concrétiser le marché. Une tribu du voisinage envisageait de guerroyer un peu avec sa voisine, et recherchait pour cela, un équipement seyant. Comme elle avait quelques différents avec Sidon et Tyr, elle ne trouvait aucun commerçant sur cette partie du monde, qui accepte de traiter avec elle. Aussi, cette tribu palabra longuement pour la forme, mais dû se résoudre à accepter les exigences de ce négociateur émérite et opportuniste. Ménégidksos fut ébloui par autant de facilité, et regretta qu’il ne travaillât point pour lui à longueur d‘année. L’équipage était revenu, entre temps, au complet de cette permission fortuite. Ils étaient totalement dépouillés, mais ravis.  Et cet avec une énergie gonflée à bloc que la barge fut rapidement déchargée de son lourd et précieux chargement, et que sur le pont furent soigneusement entassés des centaines de sac de céréales, et dans la cave, des dizaines d‘amphore. Tupšarru retrouvait les membres de sa caravane et leur dévoilait son intention de profiter de cette offre exceptionnelle qui lui avait été faite. Cela allait lui permettre d’approfondir ses connaissances sur l’étendu du monde, afin d’en rendre compte, à son retour, au roi son cousin. La marée emportait vers l’horizon, à la nuit tombante, le navire toutes voiles au vent, sur une mer irisée de longues traînées empourprées.

         Ménégidksos finissait ici son récit.  à suivre...

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