quelques nouvelles en bref...

  

 

 

Vacance à Haïti    

    je n’avais pu partir en vacance qu’en ce mois de février, en raison de mon métier saisonnier. Je travaillais dans un piano-bar sur les Champs-Élysées, l‘hiver étant une période calme, c‘est là que l‘on vous donnait vos congés. J’avais choisi une destination en mesure de mes désirs de dépaysement, un véritable paradis terrestre, une île entre le ciel et l’eau, en un mot: Haïti. J’avais opté, pour des raisons de facilité, pour un hôtel qui offrait beaucoup d’activités de loisirs. C’était l’époque des Duvalier, dont le père, alias Daddy Doc, occupait les fonctions tant convoitées de président à vie. L’agence de touriste m’avait recommandé d’être particulièrement vigilent dans un pays instable et violent. À Port au Prince, un pick-up bariolé qui ne comptait plus les kilomètres, et qui n’avait jamais dû voir un contrôle technique de toute sa vie, était venu  pour m‘accueillir. Il stationnait au bord d’une route toute défoncée, de l’autre côté d’un grillage tout déformé et brinquebalant, qui ceinturait ce minuscule aéroport. Une fois passée le contrôle de la douane, sous le regard renfrogné de deux agents, qui espéraient peut être un bakchich, ou un motif pour m’inquiéter, je me retrouvai dehors. Le soleil était resplendissant, et la chaleur accablante, moi qui avais encore conservé ma doudoune et mon pantalon long. Un Haïtien jovial, accompagné d’une splendide blonde, dont le visage était caché par l’ombre d’un imposant chapeau de paille, s‘approchèrent de moi. Il me tendit la main droite, et de l’autre me prit mon bagage. Il m’invitait courtoisement, à le suivre, tandis qu’elle, en retrait, suivait le mouvement. Il se présentait tout en s’installant au volant de son véhicule. Il allumait en grand sa radio, qui pour l’occasion, retransmettait de la musique créole. C’était notre guide, un gentil organisateur, exclusivement mit à notre service. Il ne s’occupait que des touristes français, et comme en cette saison, nous étions les deux seuls à l‘hôtel, elle et moi, nous serions chouchoutés. Il fit les présentations, elle s’appelait Angeline, venait du nord de la France, et avais décidé de prendre comme moi, ses congés en cette période si particulière de l’année. Il fallait, pour atteindre l’hôtel sur la côte ouest, faire une quinzaine de kilomètres. J’en profitais pour entamer la conversation sur des tas de sujets sans aucun intérêt. Elle me parut distraite, voir distante à mon égard, peu importait, j’étais venu seul, et ne m’attendais à rien changer. Après une demie heure de route, nous arrivâmes enfin. L’hôtel bordait une plage sans fin. le soleil commençait à disparaître en se diluant dans un horizon enflammé. Une cérémonie de bien venue avait été organisée tout spécialement en mon honneur. On m’offrit un cocktail à base de rhum et de jus de fruits frais, puisé dans un énorme saladier en terre cuite, magnifiquement peint à la main. Mes deux nouvelles connaissances partagèrent un verre avec moi. Notre guide s’excusa assez rapidement, il devait rendre compte de sa journée au secrétariat. Angeline prit tout naturellement sa place. Elle me décrivit l’ambiance des lieux, et les activités prévues pour le lendemain. La salle à dîner se remplissait déjà. La clientèle avait la bonne soixantaine bien portante, principalement originaire des États-Unis. Ils ne parlaient que leur langue, et plutôt bruyamment. Ils regardaient les petits français comme tous les autres autochtones du coin, avec la bienveillance que ressent celui qui se sent supérieur, et en devoir de  protéger le monde. Le dîner se présentait sur une terrasse ouverte sur un océan couleur jade, aux reflets mordorés. La nuit tombait très vite, surprenant l’agréable température sec et chaude qui semblait aimée paressée sous les embruns. La plage de sables fins cristallins, dorés et brûlants, se prélassait nonchalamment. Des nuages ouatés, effrangés, orangés, s’étiraient langoureusement d’est en ouest, en se roulant comme perdus et ne sachant où aller, dans un ciel lapis-lazulis qui commençait à s’allumer. Des milliers de petites lumières vives des âmes des anciens, apparurent les unes après les autres sur la voûte céleste. Sur la terrasse, un buffet était dressé, et offrait tout ce que la terre avait imaginée de mieux: des gambas grillés, des goyaves mûries à souhait, des papayes, du poissons frais, de la viande, de la charcuterie, du fromage local... Tout naturellement, nous nous retrouvâmes l’un à côté de l’autre: Angeline et moi. L’envie d’entendre la langue de Molière, et de la partager, fut irrésistible parmi ce brouhaha tonitruant des idiomes des maîtres provisoires de l’instant. Je m’étais demandé, je dois à présent l’avoué, si elle ne faisait pas partie du personnel de l’hôtel, afin d’accompagner le seul français du moment: drôle d’idée quand même. Nous fîmes plus amples connaissances. Elle était arrivée la semaine précédente, et était là pour une quinzaine de jours. Elle espérait plus que tout au monde pouvoir bénéficier d’un peu de soleil et de chaleur. Nous avions le même âge, partagions beaucoup de points communs, les mêmes sujets d’intérêt. Nous avons poursuivi la conversation, sans nous en rendre compte, allongés sur des transats au bord de la piscine, une bonne partie de la nuit. La voûte étoilée protégeait de ses milliers de bras scintillants, une lune pleine et étincelante de blancheur, qui semblait avoir beaucoup de chose à nous raconter. Le lendemain matin, notre gentil organisateur nous proposa toutes les activités prévues pour la journée. Ce retrouver avec une splendide créature divine, au teint déjà cuivré, en monokini sur une île déserte, cela commençait très bien. Nous nous sentions tout seul et perdus parmi tous ces américains. Nous n’avons pas arrêté de nous amuser de toute la journée, en passant de la planche à voile à la plongée sous marine, du parachute ascensionnelle à la piscine, rien de tel pour se rincer la peau de l‘eau de mer super salée. À peine sorti de l’eau, que déjà nous étions secs. Entre autres activités, n’oublions pas le buffet, les cocktails, les jeux de cartes, les discussions passionnantes, les baignades, la danse, la veillée aux étoiles…Cette nuit là, de retour dans mon bungalow, je me sentis tout à coup désespérément seul, alors, sous prétexte que mon appareil électrique contre les moustiques était tombé en panne, j’allais taper à sa porte. Elle m’ouvrit de bon cœur, et acceptait de m’héberger et de partager sa chambre avec moi: en tout bien tout honneur, il en va de soi…  Le lendemain, et tous les jours qui ont suivis, nous ne nous sommes plus quitté. Une fois, amenés sur place par un petit voilier de pêche bariolé, nous avons passés toute une après midi au beau milieu du lagon, à nager entre les eaux chaudes et transparentes, teintées de reflets bleus et verts frétillants. Parfois, nous frôlions une raie d’une main, et une kyrielle de petits poissons multicolores de l’autre, et aussi, nous nous sommes retrouvés au beau milieu d’un banc de méduses, et de tous leurs filaments urticants. Elles flottaient au grés des flots. Il nous arrivait de  ne plus apercevoir ni le bateau ni la côte, et cela pendant de longs instants. Elle était devenue sirène, moi un requin blanc. Nous étions hors du temps, inconscients du moindre danger. Le soir, après le dîner, nous avons accepté d’accompagner la femme qui oeuvrait à la plonge, et avec laquelle nous avions sympathisée. Elle allait à une messe Vaudou pour demander je ne sais plus trop quoi. Aucun étranger n’y était normalement tolérer, mais comme elle ressentait en nous de bonnes ondes, elle nous parraina. La soirée fut intense, et cela reste un doux euphémisme, tant les scènes tribales qui se déroulèrent sous mes yeux, hantèrent pendant longtemps mes songes. Un autre soir, nous décidâmes d’aller faire un tour, comme d’autres fois d’ailleurs, dans la vieille ville de Port au Prince. Nous empruntâmes le pick-up, avec le consentement de notre guide, plus que cool le soir. Entre deux ruelles, dans une cour engoncée entre des tas d’immondices, nous sommes tombés sur un rassemblement bruyant, et surexcité de locaux qui pariaient sur des tournois de combats de coq. Les billets culottes circulaient de mains en mains. On appelait ainsi la monnaie locale, car la  légende voulait que c’était la meilleur cachette qu’avaient trouvée les femmes pour protéger leur argent de la convoitise des voleurs, et aussi,  en employant une métaphore, par celles qui avaient fait de leur cul boutique. Dans la cour, l’ambiance était électrique, surréaliste, d’une puissance occulte incontrôlable. Tout à coup, des crissements de pneus et une aveuglante lumière de plein phare vinrent perturber le spectacle. Aussitôt, comme par magie, tout le monde disparaissait dans les replis de l’obscurité. Seul nous deux, comme deux pauvres pommes, surpris, figés par la rapidité de l’action, restions là, les bras ballants. Un tonton macoute, un vieux fusil à la main, nous interpellait de loin rudement. Alors là, l’instinct de survie étant la plus grande, nous nous sommes enfuis à travers les ruelles encombrées de bric-à-brac. Nous avions préféré laisser tous nos papiers d’identités à l’hôtel, pour des raisons évidentes de sécurités. Enfin, nous le pensions. Nous nous engouffrâmes dans une petite cour, sans trop savoir pourquoi. Comme si un siphon nous avait aspiré. Au beau milieu de l’endroit, assis sur une chaise en bois, un type à l’imposante coiffure de rasta, débordant d’un  bonnet de laine bigarrée, nous regarda passer en nous saluant d’un revers de main. Il avait des yeux  gorgés de sang, sur le point d’exploser. Il tirait sur une incroyable cigarette, faite avec une page entière de journal. Nous passâmes par-dessus un petit muret, et rejoignîmes le pick-up garé là. Je démarrais calmement, mettais le tuner à fond, du souk passait à l’antennes.  Derrière nous, une jeep de tontons macoutes déboulait. Ils avaient dû être appelés en renfort. Ils ne devaient pas très bien savoir ce qu’ils recherchaient: des voleurs, des parieurs illégaux, de dangereux repris de justice. En tous les cas, des gens qui avaient refusés de se plier à un contrôle policier. C’était là un bon motif d’interpellation, et de condamnation: de quoi légitimer le payement d’une très forte amande. Évidemment, on pouvait toujours négocier. Les tontons macoutes rivalisaient d’ingéniosité pour trouver de nouvelles infractions à verbaliser. Mieux valait ne jamais tomber entre leurs pattes. Fuir n’était peut être pas la meilleur solution, mais certainement pas la pire. La jeep approchait plein phare, je voyait dans mon rétro, les bouilles patibulaires des macoutes. Ils devaient être excités à l’idée de se faire un petit bakchich. Ils se demandaient certainement à quoi ressemblait ce qu’ils recherchaient, mais jamais, ils n’auraient pu imaginer, que des fuyards soient aussi peu discrets que nous. Ils nous klaxonnèrent, nous dépassèrent en trombe, et disparurent dans la nuit. Une autre fois, des voleurs de quatre chemins nous demandèrent dans un excellent Français, la bourse ou la vie. Je sortis de mes poches les quelques gourdes qui me restaient. Ils parurent contrariés, alors je les invitais à aller boire un coup. Ils acceptèrent, mais refusèrent que je paye. Ils avaient une réputation à tenir. Ils me reprochèrent mon manque de moyen. Ha…! l’américain, lui avait de quoi honorer un respectable bandit. Le taulier de l’endroit refusa de me faire crédit pour une tournée, mais acceptait de me l’offrir. Je ne comprenais pas pourquoi des gens si pauvres, conservaient cette joie de vivre, et cette gaîté, alors qu’à Paris, les gens avaient tout à porté de la main et étaient si tristes.
    Les vacances passèrent très vite, de retour en France je me rendis dés mon premier jour de repos dans le nord. Elle habitait dans les corons, une petite maison identique aux autres, de plein pied. Elle vivait avec ses parents, des gens adorables. Nous repartîmes le mois suivant en vacance: une semaine aux skis en Autriche. Cela ce passa admirablement bien. Je la revis pendant presque un an et demi, en me rendant tous mes jours de repos là bas. Mais le nord, en hiver, ne ressemble pas vraiment aux caraïbes. La couleur anthracite scintillait de partout, des murs mouillés des immeubles, au macadam huileux, et ce n’était pas les lampadaires dispensant une auréole de lumière blafarde jaune pale, qui aurait pu égayer tout cela. Le ciel restait désespérant en deuil. Même si la population est très attachante, cela ne compense pas le reste. Nous nous rendirent vite compte que notre entente se voulait excessive et festive, et ne supporterait pas la routine du quotidien. Les meilleures histoires d’amour finissent mal en général suivant l’adage. Après une longue période de déprime je continuais à vivre… sous le soleil exactement.   
                                     douze heure et une poignée d'éternité

                                                                              Le laid de saint sauveur

 

 


Souvenir d’enfance


    J’assistais à un spectacle médiéval sur la place carrée de la vieille ville de Saint Albier, un ménestrel jouait de la viole en chantant un lai traditionnel. Cela racontait cette étrange histoire.
   
     Il y a bien longtemps de cela, par un triste jour d‘automne, le lai de service de l’abbaye Saint Sauveur sonnait la cloche avec allant. Pendant ce temps, à l’auberge du village, le maître de vénerie, friand de bonne chair, se tapait tranquillement la cloche. Ses deux puissants avant-bras sortaient des amples lés des manches de sa tenue de velours pourpre. De sa main droite, il tenait délicatement une énorme tartine de pain de mie, et de l’autre, la main délicate de sa mie. Elle savourait, quand à elle, un délicieux friand garni de bonne chair, dont elle était friand. Elle lui demanda de sa voix suave:
- « N’est-ce pas le tocsin que j’ouie mon ami ? »
- « Oui! C’est l’appel pour le rassemblement, certainement pour une battue, j’y cours, ma mie »
Dans la cour du prieuré, et sur tout le tour du cloître, une foule ameutée se rassemblait déjà autour du lai.
- « Mes frères, nous avons été victime d’un odieux sacrilège, on nous a dérobé la laye de notre orgue. Le frère sculpteur, qui rénovait le saint sépulcre de Saint Pourçain, à petits coups de lais, à genou, caché par l’exèdre dans le sein de l’abside, ainsi que frère Mordélius, qui oeuvrait en haut de la chaire, ont vu cet hère qui sans cesse erre, avec ce faux air, sifflotant ce vilain air, tripatouiller dans l’ouie de l’orgue. Oyez ! Mes frères ! Partez vite à ses trousses, il ne doit pas être loin, n’attendez pas le blanc seing de notre évêque, pour nous mettre en quête. Nous ne pouvons pas nous taire, si nous ne voulons pas attirer tous les maux de la terre, sur l’émaux de notre blason. »
    À peine ces mots avaient-ils été prononcés, que tout le monde sorti en direction du bois. Le maître de vénerie arrivait à peine, il avait de la peine à maintenir la harde, solidement enroulée autour de son poignet, tellement les chiens tiraient, excités par les effluves abandonnées par les hardes du voleur. Celui-ci avait suivi la sente laissée par une harde de sangliers, elle rejoignait en plein cœur de la forêt une laie. Les chiens, bavant de rage, aboyaient à s’étrangler, tirant derrière eux leur maître. Tapie non loin, une laie donnait le lait à sa portée de marcassins, inquiète à moitié, car elle présentait que ce jour là, les chasseurs avaient une autre idée en tête. Plus loin, un hère sans bois, aux abois, immobile, transis d’effroi, laisse passer la meute qui aboie. Passé un petit rond de sorcière, qui paraissait par avance se réjouir, le vilain, laid de surcroît, devant, fuyait. Il tenait la laie d’une main, et repoussait de l’autre, les jeunes baliveaux et les lais qui lui entravaient le passage. Il sautait avec allant par-dessus les racines exhumées d’un géant millénaire, sur lequel, une fistuline, solidement accrochée, le sourire béat, le regarda passer. Il avait dans son esprit tortueux, l’idée de revendre ce laie, d’apparence insignifiante, mais cependant indispensable au bon fonctionnement de l’orgue, à ses propriétaires. C’était une des boites à soupape de l’ouvrage. Les frères de l’abbaye ne trouveraient jamais un luthier capable de reproduire à l’identique cette pièce maîtresse de l’instrument. Sûr, on lui donnerait à coup sûr, une bonne bourse de pièces d’argent. Le chemin tortueux devait le ramener sur le rivage, où, couché sur le sable, son canot,dans le haut du lais attendait. La marée l’aiderait ensuite à reprendre le large. Encore un petit effort, et il serait définitivement à l’abri. Derrière, le maître de vénerie attrapait le cor qui pendait le long de son corps, et sonna l’hallali. Ce son tonitruant transperçait l’espace alentour, ce n’était pas comme son bois, d’une extrême douceur, qu’il aimait jouer parfois à sa mie, Assis, adossé aux lés de sa chambre. Il aimait improviser des odes à l’amour. Non loin, un cerf aux bois à dix cors humait l’air, le danger s’éloignait de lui. Les chiens, les babines retroussées, les dents méchamment pointées, bavant toute leur envie, tiraient encore plus sur leur harde. L’odeur âpre  de la peur dégageait des hardes du voleur, et flottait dans les airs. Alors, derrière, le maître de vénerie, qui déjà regrettait son repas, lâcha la meute en furie. Les couleurs fauves de l’automne tapissaient le sol, et la moiteur des lieux réjouissait un parterre de cèpes. Les frères disparaissaient sous leur coule trop grande, ce qui donnait à leurs mouvements des airs fantasmagoriques. La lumière poussiéreuse, striait l’espace en de larges bandes ocrées et troubles, surprenant par instant un korrigan espiègle. Devant, le laid soufflait péniblement. Son visage blême perlait de grosses gouttes de sueurs, et ses yeux vitreux transpiraient la peur. Derrière, la meute se rapprochait encore davantage. Les frères pointaient violemment de dessous leurs interminables manches, des herminettes pour certains, des fourches en buis pour d’autres. Le son du cor n’arrêtait pas d’enflammer, si cela eut été possible, l’ambiance survoltée par la promesse de la curée qui se dessinait prochaine. Le curé de saint Albier était là, lui aussi, et avait rangé pour l’occasion au fond de ses poches, toutes ses bonnes résolutions. Devant, au loin, les embruns iodés commençaient à se faire ressentir, le souffle de l’océan indiquait que l’océan refluait, et que bientôt, il serait trop tard pour rejoindre le grand large. La barque, patiente, s’était endormie là, dans un repli du lais. Le hère las, aperçu là, à travers les feuillus, l’horizon se dessiner au loin. Le soleil retrouvait sa couche océane, et sa traîne resplendissante enflammait les flots. Derrière, les silhouettes émergeaient déjà de la pénombre. Inquiétantes apparitions furibondes qui réclamaient le prix du sang.
    C’était le jour de la saint Néophylaine. À la saint Néophylaine, méfie toi du bois. Entré en prédateur, tu en deviendras la proie, et dans les profondeurs du néant tu disparaîtras. Ce jour là, le sang ne doit point couler, sans que tu n’aies au préalable payé ton cent aux démons, qui te le rendra au cent. La nuit tomba doucement, comme pour cacher la scène, et le silence retrouva enfin tous ses droits. 
    À l’abbaye, on attendit jusqu’au petit matin avant d’envoyer quelques gens aux nouvelles, mais on ne trouva nulle trace d’aucune nature que ce soit.



     Personne ne revint jamais de cette battue infâme, et l’orgue resta depuis, à tout jamais muet. Il n’y a qu’a la saint Néophylaine, les jours de gros temps, que l’on peut encore entendre siffler la complainte du vilain hère, qui sans répit erre, à la recherche de son âme, au cœur de l’instrument sans âme, répondre à la plainte d’un étrange son de cor, là bas, aux tréfonds des bois




                fin.             

                                Carhaix-Plouguer Le 31 octobre 1436

                                 Jean Claude Pothier

 

   

 


 

 

     A.S.S.E.D.I.C

    Je m’étais levé comme à l’accoutumée, de bonne heure et de bonne humeur. Sauf qu’aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, j’avais décidé de me rendre au bureau des A.S.S.E.D.I.C., afin de m’y inscrire. Huit heures et quart, je suis enfin arrivé devant ce grand immeuble, devant lequel je passais quotidiennement, sans jamais vraiment le voir. Personne dehors, pas étonnant en cette période estivale. D’un pas décidé, je m’engageais dans l’allée pavée de briques rouges, bordée de plates-bandes d’herbes jaunies, qui suppliaient désespérément l’attention d’un jardinier, ou bien la providence d’un peu de pluie. Ici pas de porte automatique, seulement une imposante baie vitrée au montant massif, qui manifestait toute sa mauvaise volonté à vouloir s’ouvrir.  Au bon accueil n‘était pas sa devise. Les verres fumés retenaient toute la confidentialité de l’endroit. Qu’elle ne fût pas ma surprise de constater, une fois entré, qu’une foule impressionnante attendait déjà. Comme devant les plus grands cinémas, des piquets métalliques bleus balisaient l’espace, ils étaient reliés entre eux par des cordes à nœuds dorées. Un couloir ainsi crée amenait, après avoir fait dix fois l’aller retour de toute la longueur de la pièce, sur une cible plastifiée à la teinte délavée, sur laquelle on avait méticuleusement inscrit le mot  ‘Attendez !’  Devant, trois guichets aux vitres renforcées, percées dans leur partie inférieure de petits trous. Là, on pouvait aller y déballer toutes ses petites misères. Bien entendu, une fois que l‘on y avait été invité. Toutes ces bouches qui avaient dû lécher la vitre, n’incitaient pas trop à s’y approcher. Une horloge à quartz des années soixante dix occupait tout le haut du mur, comme un maître absolu des lieux, il vous surveillait dédaigneusement en vous recommandant la patience. Les chiffres las, à demi effacés, déroulaient sempiternellement leur litanie. Les rangées de dos bien obéissants, s’étiraient en silence en accordéon devant moi. Une jeune femme, l’air un peu perdu, déballait tous les documents qu’elle avait amenés devant une réceptionniste déjà excédée en ce début de matinée. La pauvre allocataire semblait accablée de toutes les misères de la terre. À chaque argument qui lui était opposée, elle sortait d’une de ses innombrables poches, un nouveau bout de papier, froissé à force d‘avoir été plié et replié. Au milieu de la scène, au deuxième guichet, vautré sur l’hygiaphone, un quinquagénaire en survêtement décontracté racontait certainement sa dernière partie de quatre-cent-vingt-et-un, ou bien demandait un tuyau pour le tiercé au fonctionnaire maniéré, qui le regardait derrière ses lorgnons, d’un air outré. Sa bouche pincée ne trouvait plus les mots pour s’en débarrasser. Peut être que cet allocataire n’était venu demander tout  simplement qu’une petite augmentation d’indemnité, les tarifs des bars avec l’euro souffraient d’une inflation exponentielle, que le malheureux n’arrivait plus à maîtriser. Au dernier guichet, encore une jeune femme, comme elle avait l’air vulnérable, le moindre souffle d‘air aurait pu l‘emporter. Derrière la vitre un vieux beau à la moumoute empesée, s’empressait de la consoler comme il le pouvait. Il lui parlait de ses derniers R.T.T. à Deauville et de ses prochaines vacances aux Caraïbes. Ça devait certainement remonter le moral à cette pauvre femme, qui ne savait pas comment elle allait faire, avec ses trois enfants en bas âge, pour finir son mois. Finalement, le guichetier ne savait plus s’il partirait, avec tout ces attentats, on était finalement aussi bien chez soi.  Dix heures vingt, la pendule marche bien, deux guichets fermes. La pause café certainement, car pour l’apéro c’est un peu tôt. Un homme introverti s’avance à son tour timidement, il doit prendre beaucoup sur lui, devant la mine renfrognée de la réceptionniste, il s’excuse avant de capituler et de s’en aller. La salle est grande, sur le côte des fauteuils en métal grignoté par la rouille supportent la patience des gens qui ont réussis à obtenir un numéro magique pour la seconde étape: un tête à tête avec un conseiller. Cinq portes alignées le long du mur du fond, refermées sur leurs mystères, gardent jalousement leur secret. Au dessus de chacune d’entres elles, une lampe rouge fatiguée veille. Un compteur électronique, d’une autre époque, pendouille pitoyablement du plafond au bout d’un fil électrique.   Marche t-il vraiment ? Oui peut être. En tout cas, tous les gens qui attendent, ne le quitte pas des yeux, comme s’il risquait de passer leur tour, ou bien  s’imaginent-il qu‘ils jouent au loto. Lorsque l’on trouve le même numéro sur son ticket, on a gagné le droit d’aller voir derrière la porte, là où la lumière clignote, ce qui s‘y passe. Malheureusement, là aussi, une seule lampe est animée de vie, et c‘est toujours la même porte qui s‘ouvre une fois toutes les demi-heure. Peut être ont-ils perdus les clefs des autres portes, à moins qu‘elles ne soient factices. Enfin voilà mon tour, midi cinq, toujours un seul guichet d’ouvert, j’avais peur qu’il ne ferme pour le déjeuner. Non ! Non ! M’avait renseigné un habitué des lieux, la boutique ne baise le rideau qu’à quatorze heures trente seulement. Enfin ! Il était quand même temps que je passe, si je voulais tout faire le même jour. Je m’étais entraîné à répondre à toutes les questions qui me seraient posées, depuis le temps que j’observais les différentes situations, je me sentais fin prêt. Je me présentais le visage avenant, respirant pleinement pour me gonfler à bloc, j’avais tout prévu, sauf à répondre à cette question foudroyante: « Quel est votre numéro d’allocataire ? » la voix cinglante m’avait pulvérisé. Je restai bouche bée, la pression commençait à vouloir sortir par tous les pores de ma peau. Je bafouillai tant bien que mal que je venais pour la première fois, je venais pour m‘inscrire… On me coupa sèchement la parole. Ma pauvre voix aux accents de trémolo n’avait pas réussi à attendrir la carapace de cette fonctionnaire revêche. Elle me lança son doigt en direction du mur opposé, en me jetant violemment: « pour les inscriptions, vous avez des téléphones mis spécialement à  votre dispositions, là bas, derrière vous. » Terminé et au suivant. Je comprenais maintenant mieux l’usage de ces hygiaphone blindée, c’était pour protéger les usagers des risques qu’ils encouraient à vouloir trop s’approcher. Je suis sûr que sans cela, je me serais certainement pris son doigt dans l’œil. En effet, maintenant que je tournais le dos à la réception, je les voyais mieux, du moins, j’apercevais la queue interminable qui se formait devant. Du moins, en approchant, je devinai la présence de deux téléphones. Ils avaient été posés l’un à droite, l’autre à gauche, chacun sur un mur, et de façon diamétralement opposés. Les files d’attente se rejoignaient au milieu de cette partie de la salles pour former une foule compacte. Tout le monde semblait se connaître dans ce coin là, l’ambiance était plutôt conviviale. Chacun échangeait des nouvelles, et papotait le bout de gras. Moi, sagement, je m’insérais dans une des deux files, au hasard. Du moins, cela ressemblait plus à un attroupement qu‘à une file en mouvement. Enfin ! Après de longs instants d’attente, j’atteignais le but. Maintenant il n’y avait plus qu’une personne devant moi. L’opération paraissait pourtant  facile, il y avait juste à décrocher et à se laisser guider. Là aussi, j’avais eu le temps de me préparer, en observant tous ces usagers. Je me disait qu’ils n’étaient vraiment pas très doués, plutôt empotés, car il n’y avait aucun numéro à faire, c‘était une ligne directe. Et bien non, il fallait absolument qu’ils pianotent à espace régulier sur ces malheureuses touches, qui pour l’occasion avaient-elles aussi été renforcées. Je commençais à trépigner. Enfin, mon tour arriva, je me sentais assez fier de moi, car je m’étais juré de ne point m’énerver. Je décrochait le combiné, et appuyais sur la touche appel. Une voix robotisée me prêta le bonjour que je ne pouvais évidemment pas lui rendre, alors je me suis contenté d’écouter. Ah ! elle en avait des choses à me raconter celle-là, elle me parlait des intérimaires du spectacle, du travail saisonnier... Mais quand, subitement, alors que suivant les règles de la bienséance, je ne l’avais point coupé, elle me demanda mon numéro d’allocataire, que je devais connaître, vu qu’il m’avait été donné…là, vraiment le sang m’est monté à la tête. Je suffoquais, bafouillant pitoyablement ma requête, que nenni, elle n’en avait cure, elle ne m’écoutait même pas. Je compris dès lors, pourquoi ces téléphones avaient eu la sagesse de se faire blindés, ainsi que les vitres fumées de l’Assedic : sinon, je crois bien qu’à cette instant précis, l’envie de présenter le téléphone à la devanture m’ait traversé l’esprit. Derrière moi, une personne charitable, qui attendait son tour, vint à ma rescousse: « pour les inscriptions, c’est pas ce téléphone-ci, c’est l’autre… » après l’avoir rapidement remercié pour cette précision, je pris la queue de cette ultime étape. La file s’égrenait au même rythme que l’horloge: lentement. Je ne pouvais m’empêcher de me retourner sans cesse pour observer cette pendule, comme si elle pouvait y faire quelque chose. Enfin, n’y espérant plus vraiment, j’arrivais aux portes de la délivrance. Le téléphone ne possédait qu’une seule touche, un petit carré de bonheur, usé en son milieux de plusieurs millimètres. Qu’elle ne fut pas ma joie d’y apposer mon empreinte, comme d’un fait historique de la plus haute importance. Je décrochais le combiner que j’amenais à une distance convenable de mes oreilles. Après quelques instants de lourds silences, une voix métallique se fit entendre, non…! pas  encore elle…! Elle me rassura aussitôt en m’informant qu’un conseiller allait prendre mon appel. Elle me le répéta plusieurs fois, comme ci je ne comprenais pas. Elle rajoutait à chacune de ses fins de phrases: « ne quittez pas »  alors là, cela ne risquait pas, quitte à emporter le combiner chez moi, je ne lâcherais pas. Enfin une voix humaine prit le relais, il paraissait pressé. Il me demanda la raison de mon appel, je le lui dit, et aussitôt il enchaîna par ce qui commençait par devenir une habitude chez eux:  ne quittez pas. Une autre voix mécanique reprenait le flambeau, elle me demanda mon patronyme et mon adresse. J’obtempéra avec quelques réserves: me comprendrait-elle ? J’articulais lentement en épelant mon nom et mon adresse. Je ne pus m’empêcher de lui demander si elle avait bien tout noté, évidemment, elle ne me répondit même pas, mais elle m’avisa qu’un courrier me serait adressé. Je devrais remplir méticuleusement  le dossier joint, avant de revenir ici, puis elle me raccrocha au nez. Je me demandais avec appréhension, si elle avait bien tout retenu, je l’espérais du moins. Je réalisais un peu tard, que j’aurais très bien pu faire tout cela de chez moi. Derrière moi, une personne me pressait d’en finir, quatorze heure vingt s’affichait glorieusement à la pendule qui ne lâchait rien.  Je ressortis sur le trottoir, vidé, je sombrais dans la mélancolie après ces instants de vives intensités. Il pleuvait maintenant une petite pluie fine et glacée. Le parterre de fleurs pouvaient se réjouir. Sur le pare-brise de mon automobile, une contravention pour dépassement du temps autorisé imbibée d’eau, ruisselait. Je la pris du bout des doigts, ne sachant où la mettre. Elle dégorgeait d’encre bleue qui filait en de petite gouttes, qui perlaient pour aller s‘écraser sur le bitume anthracite. Cette journée finissait comme elle avait commencé dans la joie et la bonne humeur. Cela préfigurait la suite, et je craignis que j’avais connu là le meilleur. L’horizon se dessinait sombre et le parcours interminable. Je rentrais chez moi désabusé, mais à chaque jour suffit sa peine, demain serait une autre journée.  
                                                  Jean Claude Pothier


 

 

                                                                                                              
 


Un bon restaurant pas cher

    Une grosse berline se gare devant un petit estaminet du centre de Menton. Un jeune homme élégant en descend, et s’installe tout naturellement à un des guéridons de la terrasse, qui semblait n’attendre que lui.


« Hep ! Garçon, un café….et un verre d’eau, je vous prie, merci.
-Oui monsieur...Café noir, café crème, une tartine, des croissants ?
 -Un express me satisfera amplement. Dites moi donc mon brave, connaîtriez-vous part hasard une bonne table dans la région ? De passage dans votre ville, je compte inviter ma belle mère à déjeuner.
-Ouais, ce n’est pas ce qui manque. Vous avez le Grand Bleu, sur le vieux port. Si vous n'avez pas peur de faire rougir la carte bleue, je vous le recommande : Voiturier, concierge, maître d’hôtel, sommelier, serveur en rondin, madame pipi, vendeuse de cigarettes, et aussi de roses, et tout le tralala. Et puis, le homard thermidor aux cèpes, un vrai délice… du moins à ce qu’il paraît. Pour le rouquin, c'est que du velours.
-Oui, oui, je vois. Vous savez mon ami, nous sommes toute l’année sollicités à partager les meilleures tables de l’Hexagone, pour une fois, nous souhaiterions quelque chose de plus familiale.
-Ouais, je comprends, vous avez chez Francine, c'est sur la place de l’hôtel de ville. Cuisine traditionnelle, comme à la maison, enfin pour ceux qui savent encore cuisiner. C’est plein tous les jours, elle mijote de ses petits plats dont vous me direz des nouvelles. Bœuf gros sel avec son os à moelle, blanquette de veau à l’ancienne, poulet basquaise, paella enfin selon le jour. Le jeudi c’est couscous.
-Cela ne doit pas être donné ?
- Ouais, faut voir, tu t’en tire pour trente sacs par tête de pipe, avec un quart de jaja de la Loire en prime. Elle te sert de ces assiettes comacs, qui dégueulent de tout les côtés. C’est la table favorite des routiers et des représentants de commerce, ce qui n’empêche pas tout le gratin de la ville de s’y retrouver.
- Trente sacs... vous voulez certainement dire quarante cinq euros environ, je suppose. Oui ! évidemment, cela les vaut probablement, mais ma belle mère, à son âge, à fort petit appétit, cela serait gâché, en plus elle n’apprécie que très modérément la foule. Elle a quelques petits problèmes auditifs, aussi le moindre bruit l’insupporte. Vous comprenez ?
-Ouais, chez Francine c’est vivant... pour la vioque, cela doit être pénible. Vous avez aussi le balto, c'est le P.M.U. du marché, s'il a du pain, il peut vous faire un casse-dalle, un hot dog par exemple, s'il a des saucisses, bien évidemment, ou une omelette…
- Oui, s'il lui reste des œufs, je comprends. Avec un peu de chance, pourquoi pas.
- Là, vous vous en tirer pour trente balles à tout casser, avec la petite mousse.
- Mon jeune ami, j’ai passé l’âge de tout casser comme vous dites, et pour contempler une assiette vide, cela n’est pas donné.
- Ouais, c’est sûr, autrement vous avez aussi chez Totor, il tient la baraque à frite devant le lycée Jean Jaurès, vous ne pouvez pas le louper. Suivez l’odeur de graillon, mais passé ce petit détail, cela reste correct. Bien évidemment, si la présence de quelques cancrelats ne dérange pas trop madame, le prix est planché.
- Là n’est pas le problème majeur, combien cela risque t-il de me coûter cette petite fantaisie ?
- Dix, quinze balles au grand maximum, ou alors, vu que vous êtes de sortie, si vous aimez l’exotisme, l’odeur du grand large, l’aventure, vous pouvez toujours aller chez la grande Lulu Quai rousse. Là, je vous dis pas le voyage, vous allez toucher l’authentique, le vrai de chez vrai, l’inoubliable. Une carte postale en trois dimension. cela n’est pas le grand luxe, mais à ce que j’ai compris, monsieur cherche à épater. Là c’est sûr: à tout les coups on gagne. On l’appelle le palais du Yang tse kiang par chez nous, parce que la tenancière se prend pour une geisha. Pour le choix c’est limité, mais il y en a pour tout les goûts. Soit vous prenez le poulet laqué, (poulet, lapin, crevette, porc). Ou bien vous choisissez le lapin à la cantonaise, (crevettes, poulet, porc, lapin). Vous pouvez vous laisser aller avec la timbale océane, (crevettes,poulet, lapin, porc), ou si le reste ne vous inspire pas, prenez le porc façon Saigon, (porc, lapin, crevettes, poulet) le tout accompagné de riz, cela va de soi. Là, vous vous en tirez pour cinq balles la barquette en carton. Bien sûr, à ce prix là, on ne consomme pas sur place. Certains s’assoient sur le rebord de la jetée, avec la mer en panorama. Cela reste de ces moments rares incomparables.
- La boisson n’est pas comprise dans la formule, je suppose ?
- Ouais, je suis pas sûr, mais je crois bien qu’on lui a coupé l’eau, quand même, situé à trois mètre de l’océan… avouez que c’est ballot.
- Oui, de toute façon ma belle mère me boit pas, de plus, elle me demande toujours de m’arrêter toutes les heures pour aller aux toilettes. Je descendrais donc dans une station service, et commanderais un café avec un verre d’eau. Si elle a soif, elle en profitera. Dites moi, Si je viens de votre part, ne croyez vous pas que madame la grande Lulu m’accorderait une petite remise à titre commerciale.
- Ben ! Pourquoi pas, des gens de votre milieu, elle n’en voit pas tous les jours. Vous lui ferez honneur. Pas la peine de me citer, je préfère rester discret, vous me comprenez ?
- Oui, très bien, cela vous fais honneur, combien vous dois-je mon brave?
- Deux euros, Monsieur.
- Dites ! cela n’est pas donné pour un petit estaminet de province, mais enfin bon, vous m’êtes tellement sympathique, tenez. Je vous prierais de bien vouloir m’excuser, mais je n’ai que cette pièce de monnaie sur moi, mais la prochaine fois, c’est juré, je n’oublierais pas de vous donner votre petit pourboire
- ça, sûr, je peux compter dessus
- Je récupère le sucre en plus, dés fois qu’elle me fait une crise d’hypoglycémie pendant le voyage du retour, vous me comprenez n’est-ce pas ?
-Ouais, évidemment, si je n’avais pas autant besoin de ma table, et de mes chaises, je vous les aurai volontiers céder pour aller déjeuner avec votre belle mère.
- Cela vous ennuierais vraiment, puisque vous me le proposé si gentiment, que je revienne manger ici les spécialités de madame  Lulu ?  
- Désolé, je n’attendais que votre départ pour fermer, et partir à la pêche. Je me sens très fatigué en ce moment
- J’aime bien le poisson moi aussi...
- Oui… mais non!  je pars très loin, un mois ou deux. Je ne sais pas encore, dans l'Antarctique probablement. C'est la pleine période pour la chasse aux phoques.
- Quel dommage, pour une fois que l'on tombe sur un personnage si pittoresque, si typique de la région, cela aurait fait tellement plaisir à ma belle mère de vous rencontrer.
- Et à moi donc! Surtout en cette saison, les bons clients comme vous se font rares. L'année prochaine qui sait, ce n'est que partie remise.
- Ne pouvez-vous pas partir un peu plus tard, juste après notre départ ?
- Non! C'est la saison idéale pour la cueillette des esquimaux.
- Où comptez-vous vous rendre exactement ?
- Au pôle nord, au troisième pingouin à gauche, entre l'ours blanc et le morse à poils ras.
- C'est l'Arctique mon ami... le pole nord c'est l'Arctique, et puis dans le sud il n'y a pas de pingouins, ce sont des manchots.
- Ah bon! Des personnes de votre famille probablement.
-Non, mais j’ai quelques connaissances.
-Vous connaissez donc les horaires des trains.
-Je ne voyage qu’en auto ou bien en jet privé.
-Je vois que vous n’êtes pas des gens à vous priver.
- Et quand escomptez-vous revenir ?
- Dès la fermeture de la chasse aux pigeons.
-  Abuserais-je de votre gentillesse, en vous demandant de me céder deux chaises et un guéridon pour la journée ?
- Oh que si ! d'ailleurs je suis déjà parti.
- Merci quand même de votre amabilité, et bonne vacance monsieur le tavernier. Dites moi donc par hasard, ne connaîtriez vous pas un autre aubergiste aussi sympathique que vous dans les environs.
-Si… Chez Gaston, le bistro juste en bas de la rue.
- ah!!! Je ne peux pas, c’est lui qui m’envoie



Carhaix-Plouguer
De retour de vacance
Jean Claude Pothier




 

                                                                                              


Les passereaux


L’hiver était insupportable à ne point vouloir finir, tout paraissait gris, même les
rares rais de soleil pastel qui avaient réussi à percer ce ciel aux nuages anthracite,
semblaient bien désabusés à éveiller quelques désirs. Ce tout jeune couple de
passereaux, blottis l’un contre l’autre sur cette branche étiolée, biscornue et décharnée, attendait en vain un sursaut d’envie, la plume rebelle se battant contre le vent. Les passants, la tête baisée, rentrée dans les épaules, se croisaient sans même se voir. Leurs démarches hâtées faisaient claquer les pans de leurs lourds manteaux, aussi longs que l’ennui, sur le bas de leurs pantalons, et les bouts de leur écharpe, tels de sinistres étendards, s’étiraient derrière eux dans les courants d’air. La rame du métro aérien s’immobilisa à la station glacière. Sur le mur du quai m’apparut une affiche publicitaire qui rayonnait de bonheur : une plage brûlante de sable fin doré, bordée par l’écume translucide d’un océan céruléen, filant le parfait amour avec un ciel bleu immaculé. Au premier plan, une naïade à demi dénudée s’emblait vous supplier de venir la rejoindre. On pouvait très bien ressentir l’embruns iodés venir vous décoiffer et vous titiller l’esprit, et je ne pus m‘empêcher de cligner des yeux tellement la lumière était vive.
    Le timbre cristallin de la porte vitrée de l’agence de tourisme me fit sursauter. Une
charmante hôtesse au teint hâlé leva les yeux de ses papiers. Elle me regarda, me sourit aux anges, m’invita à m’approcher, et me pria de m’asseoir en face d’elle. Ses jambes interminables se croisaient sous le bureau :
  -Bonjour ! Que puis-je faire pour vous être agréable ? Avez vous vu dans la vitrine une destination qui vous attirerait particulièrement ? Expliqué moi exactement vos envies, quel budget vous êtes vous fixé, avez-vous déjà une idée précise ? Nous avons en ce moment des promotions exceptionnelles et en plus, si vous vous y prenez à l’avance, vous bénéficierez d’avantages tarifaires non négligeables: Prime confort réserve.
 Ces eux cillaient tels de grands papillons voletant nonchalamment au dessus d ‘un
lagon d’un bleu si pure, qui vous captait l’attention au point de vous en faire perdre la
raison. Je rêvai à présent de m’y noyer dedans. Ses longs cheveux châtains ondoyaient comme des vagues endormies, prémices des pires tsunamis, sur son visage angélique:
 -Bonjour, j’aimerais préparer mes vacances d’été dès à présent. Je suis super impatient. Quelles dispositions dois je prendre ? Pensez vous que je dois refaire tous mes vaccins ? Quelles sont les destinations à éviter ? Je recherche avant tout le soleil, une plage aux sables fins dans un cadre agréable. Faudra t-il que je change des
devises avant de partir ? :
  -Préférez-vous une ambiance club, bien encadrée avec toutes ses activités, j’ai
ici la liste exhaustive des meilleurs sites; où bien préférez vous le pack tout compris
avec le billet d’avion aller retour, l’hôtel de trois à cinq étoile suivant la prestation
désirée, demi pension ou pension complète, selon l’envie, et la totale liberté de vos
journées.
  -Et pour cette fin de semaine, vous avez un bon plan ?
 -Vous êtes vraiment impatient de partir, vous alors! Aujourd’hui s’est vendredi, il est
quinze heures dix, cela me semble assez compromis.
 Ses lèvres pulpeuses rosées, liserées au crayon parme, qui façonnaient depuis le début cette voix féerique, s’ouvrit sur un sourire sans fin.
 -le soleil en cette saison, dans un pays pas trop loin, sans avoir besoin ni de visa, ni de passeport, ni de vaccins, à une heure trente de la capitale… je ne vois que les îles
Canaries. Des places d’avions sont encore disponibles, et j’ai même des prix
intéressants pour certains hôtels qui n’ont pas encore totalement commencés leur
saison. Si vous voulez…?
 -Deux places cela est possible ?
 -Deux allers retours et une chambre double ? Pension ou demi pension ?
 -Deux chambres seraient peut être préférables, je ne la connais pas encore très bien, et puis pour passez juste le week-end, je pense que la nuitée suffira, on pourra très bien se débrouiller sur place. Dites ! Vous aimez les gambas grillées ? Le poisson frais pêché, les mangues, les papayes, les goyaves, les ananas, dîner aux chandelles au bord d’un océan où se mirerait une lune argentée, le tout accompagné par une troupe de flamenco? Danser toute la nuit dans un endroit branché sous la voûte étoilée en savourant quelques cocktails ?
 -Évidemment…! quel programme idyllique…vous ne serez pas déçus…croyez moi.
 -Accepteriez-vous de m’accompagner …?
 Son regard était devenu grave, surprise, elle ne savait que répondre.
 -C’est très gentil à vous mais je ne pourrais pas…
 -Un week-end dans un endroit paradisiaque en tout bien tout honneur, vous terminez à dix huit heures, c’est noté sur la porte…
 -Mais je ne peux pas partir comme cela, je n’ai pas de bagage, et je ne vous connais pas…
 -C’est pour cette raison que vous réserverez deux chambre dans l’hôtel de votre choix, vous devez certainement connaître de bonne adresse. Voyez comme cela est facile vous êtes rassurez maintenant, aucune raison d’être inquiète, pas de surprise possible avec un guide tel que vous pour m’accompagner. Nous trouverons à l’aéroport toutes les boutiques que vous souhaiterez pour remplir votre valises : un maillot de bain, une robe de soirée, quelques lingeries, une trousse de maquillage… Et puis vous savez mieux que moi, vous verrez bien sur place, et l’hôtel fournira le reste. Lundi matin nous serons de retour gorgés de soleil et de souvenirs impérissables.
 Dehors, au dessus d’une colonne Morris, un couple de passereaux se bécotait amoureusement. À l’intérieur de l’agence, les yeux de l’hôtesse s’embrasèrent tels un volcan trop longtemps contenu. -Je téléphone d’abord à un taxi…je ferme l’agence, à présent il ne viendra plus
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