Welcome paradise

 

 

Le réveil sonne, il est six heure trente, il faut se lever.

Putain de réveil, aujourd’hui c’est vendredi, profites en bien; car demain, si tu me réveilles, je te fous par la fenêtre: tiens le toi pour dit! La lumière de la lampe de chevet s’allume dans un déclic. La chambre est tapissée de papier peint au ton vert foncé, sur lequel pointent, à intervalles régulier, quelques fleurs de lys d’un jaune ocré. La pièce est sombre, les volets sont tirés, et aucune lueur ne perce les persiennes en ce milieu d’hiver. Herbert repousse la couverture, et bascule ses jambes sur le côté. Le lit est haut, le matelas épais, et les pieds d’Herbert flottent dans les airs à dix centimètres au dessus du sol. Il est en pyjama rayé bleu. en bas du lit, sur la descente de lit, reposent deux charentaises parfumées à l‘odeur de pied. En un tour de rein, et en s’aidant de ses deux mains, Herbert se retrouve sur la terre ferme. Il enfile ses chaussons tout en marchant. Il baille, il se gratte le menton d’une main, et de l’autre les couilles. Direction la salle de bain, là, il fait sa petite toilette, et se rase devant la glace. Il a mauvaise mine, il devrait prendre quelques vacances. Non! Cela serait trop bien, mais jamais son chef de service ne le laisserait partir en cette saison. La boite a beaucoup trop besoin de lui. Herbert s’en retourne dans la chambre. Sa femme dort toujours. Il s’habille en vitesse, et file en cuisine se faire chauffer son bol de café au lait. Sur la table, quelques lettres éparses, il les pousse négligemment de sa main, afin de pouvoir y poser son bol. Le café est brûlant. Tous les jours c’est la même chose, il laisse bouillir son café, alors qu’il a horreur de boire chaud, alors il y rajoute un peu de lait froid, et cela lui fera mal à l‘estomac. Il boit rapidement, et il s’en va en laissant son bol vide sur la table. Dehors, il fait encore nuit. Il dépose dans le container sorti sur le trottoir, son sac poubelle. Les éboueurs ne vont plus tarder. Herbert baisse la tête, et rabat son col sur sa nuque: il faisait quand même meilleur dans son lit. La bouche de métro est à quatre pâtés de maison de là. Une colonne Morris se dresse à ses côtés. La bouche de métro, largement ouverte, avale les premiers usagers. La pierre est sombre, encrassée. Herbert descend les marches de pierres rapidement. Il sort son coupon de transport de son porte monnaie. Il passe le portillon et descend sur le quai. Un métro arrive presque aussitôt, il monte dans la rame qui s’arrête devant lui. À cette heure là, il n’y a presque personne. Herbert reste néanmoins debout, car il descend à la station suivante pour prendre sa correspondance qui le mènera cette fois jusqu‘à son travail. le métro ralentit et s'arrête finalement. Il descend sur le quai, monte quelques marches, et traverse un interminable tapis roulant gris métallique. Il redescend sur un autre quai. Il y a maintenant plus de monde. Le métro arrive, il est déjà bondé. Il monte machinalement dans le wagon qui s’est arrêté devant lui. Les portes se sont ouvertes, quelques personnes descendent de la rame, mais davantage encore y monte. Herbert fait les quinze stations debout, cahoté, bousculé. Lui, il ferme les yeux, et se laisse aller dans les méandres de ses songes. Vingt minutes après, il se retrouve sur le trottoir. Le jour pointe à peine, la rue est animée. Les gens se croisent, la tête baissée, sans même se regarder. Il fait gris et froid, l’humidité est omniprésente. Herbert fait encore dix minutes de marche avant d’atteindre l'entrée de son usine. Comme tous les jours de la semaine, il s’accorde quelques minutes pour aller boire un petit café au bistro du coin. Il a cinq minutes avant de pointer. Il ne va quand même pas donner ce temps à son patron. L’important c’est d’être à l’heure, ni en avance ni en retard. Ça, c’est du professionnalisme. Le serveur lui balance machinalement une tasse à café devant lui. Ici, il est connu. Herbert dépose une pièce de cinq Franc sur le zinc. Il le fait dès qu’il est servi, comme cela, le serveur aura le temps de lui rendre la monnaie à temps. Le café coûte quatre Francs quatre vingt, Philippe, le barman lui rendra deux pièces de dix centimes. Il en récupérera une, et laissera l’autre en pourboire. Cela fait des années qu’il prend son café ici, et malgré les augmentations régulières du prix des consommations, il laisse toujours un petit quelque chose. Comme cela, le serveur l’agrémentera de son petit: « Merci, Monsieur! » Neuf heure moins deux, Herbert passe son badge dans la pointeuse. Là, direction les vestiaires, quelques collègues qu’il croise le saluent. Tout cela est froid et peu sincère. Les gens travaillent ici depuis tant d’années, que leurs relations sont devenues purement professionnelles. Si! Il y a huit ans, un conflit social avait réuni les gars dans quelque chose de puissant: la solidarité qu‘ils appelaient ça. Mais après une semaine de grève très suivie, les syndicats ont signé un protocole d’accord avec la direction. Les gars avaient repris le travail sans comprendre quoi que ce soit: ni pourquoi ils avaient réellement fait grève, et il n’avaient pas non plus vu un quelconque changement après. Depuis, les gens travaillaient ensemble mais sans un vrai engouement. Les principaux gagnants étaient les syndicats et le patronat: à croire qu’ils défendaient les mêmes valeurs et les mêmes intérêts. Herbert se changeait en à peine cinq minutes, après un dernier coup de peigne devant la glace de son vestiaire, il récupérait son paquet de clope et son briquet, et il était fin prêt. Herbert se trouvait devant sa machine. Cela faisait trois ans à présent qu’il était dessus. Elle était ce qu’il se faisait de mieux. Avant, il avait travaillé quinze ans sur un ancien modèle. Il en avait été satisfait, bien que d’avoir le dernier modèle l’avait flatté aussi. De toute façon, comme on ne lui avait rien demandé, il faisait ce qu’on lui disait de faire. Herbert regardait la grosse horloge posée sur le mur en face de lui. Elle l’accompagnerait toute la journée. Ce n’était probablement que psychologique, mais il avait l’impression que la grosse aiguille avait plus de facilité pour descendre le cadran, que pour le remonter. Enfin! À dix heure trente six, il ferait une pause de dix minutes, puis à midi moins trois, il partirait manger à la cantine. L’après midi passerait beaucoup plus vite que la matinée. Herbert était d’autant plus heureux, que c’était vendredi. Demain, il ferait la grasse matinée, enfin! Au moins jusqu’à neuf heure. Sa femme le virerait du lit sous le fallacieux prétexte que le ménage se fait le matin. Herbert était aléseur fraiseur de formation, mais ici, il ne faisait que des trous dans des embouts d’accoudoir pour fauteuil roulant. Depuis le temps, il aurait pu percé les yeux fermés. Dix heures trente pointe à l’horloge, dans six minutes, une petite pause sera la bienvenue. Dix heures quatre, la pendule se prépare à annoncer la bonne nouvelle. Dans le fond de l’atelier, un chef de service approche. Herbert continue de travailler comme à son habitude. Il calcule le nombre de trous percés jusqu’ici, ça va, il est dans la moyenne. Il ne faut jamais trop en faire, sinon, les patrons vont exiger que l’exception devienne la règle. Le chef de service s’approche d’Herbert. C’est un jeune promu d’une grande école de fabrique de cornichons. Il a à peine vingt cinq ans, et il croit déjà tout savoir. Herbert le laisse parler tout son sou et déverser toute sa science, lui, il s’en fout. Il en a vu bien d’autres, des grands corniauds comme celui-ci défiler dans la boite. Aucun n’est resté plus de deux ans. Herbert continue son travail comme si de rien n’était. Dix heures trente cinq! Herbert commence à ralentir la cadence. Il aime terminer en douceur. Le chef de service s’arrête devant lui. Herbert se demande ce que ce grand con vient faire à la pause: le faire chier? Sûrement! Il va te le rembarrer en ni une ni deux. Le chef de service à pour une fois le visage ouvert et joyeux. Herbert fait mine de regarder sa montre. Il n’en a pas au poignet, à cause des vibrations de la machine, et de plus, il n’en a pas besoin, avec la grande horloge accrochée au mur juste devant lui. Le chef de service à remarqué ce geste ostentatoire, et il a compris. Normal qu’il comprenne vite: c’est le chef. Il le rassure, il ne vient pas pour perturber son temps de pause, mais il a quelque chose de très important à lui communiquer. Herbert regarde par-dessus l’épaule de son chef la grande aiguille de l’horloge se poser sur le numéro six du cadran. Alors, il arrête sa machine. Un silence illusoire se pose sur l’endroit. Le chef imperturbable continu de dérouler ses litanies. Déjà, il demande à Herbert de lui dire le nombre d’année qu’il a passée dans la boite, l’obligeant de ce fait à parler. Herbert qui est pressé répond sèchement vingt trois ans monsieur. Le chef à l’air épaté devant autant de constance, il le flatte même de quelques bons mots. Herbert le remercie, mais c’est l’heure de la pause. Le chef insiste, il a quelque chose de très important à lui dire. Herbert écoute poliment, mais il n’en pense pas moins. Le chef se laisse aller dans des périphrases à n’en plus finir. Mais où veut-il en venir, s’interroge Herbert, serait-il homosexuel? Le chef félicite encore Herbert pour tout son travail réalisé depuis toutes ces longues années, et sans qu’il ne reçoive jamais aucun blâme: un véritable exploit. Maintenant, continuait le chef, Herbert avait bien le droit de se reposer un peu, car son travail devait être pénible. Justement, Herbert avait pensé le matin même à prendre quelques jours de vacances. Mais il savait que son employeur aurait besoin de lui pendant ces périodes hivernales, alors, il avait renoncé à cette idée farfelue. Non! Justement, Herbert devait profiter un peu de la vie. De toute façon, faire des petits trous dans des blocs de métal n’était pas très intéressant. Le chef précisait que de surcroît, l’activité du site était sur la sellette, car celle-ci n’était plus assez rentable. Herbert se grattait la tête, il ne comprenait pas vraiment ce déploiement de salamalecs. Lui, tous ces détails techniques, à vrai dire, il s’en foutait. On le payait pour faire des trous: c’était tout. À chacun son job, et les poules seraient bien gardées. Le chef souriait jaune. Il ne savait pas comment expliquer à cet ouvrier modèle, que sont emploi venait d’être supprimé avec effet immédiat. Cela n’avait rien de personnel, c’était la crise. Herbert regardait la pendule, sa pause était terminée depuis déjà deux minutes. Alors, il réenclenchait la mécanique de sa machine. Le chef l’invitait poliment à comprendre. Son travail était terminé, définitivement terminé. La boite, dans son extrême bonté, faisait grâce à Herbert de ses deux mois de préavis. Le chef avait déjà même sur lui sa lettre de licenciement, le chèque avec son mois de salaire, son reliquat de congé payé, et ses deux mois de préavis avec en prime une lettre louant ses mérites signée de la main même de la grande direction. Avec cela, Herbert n’aurait aucun mal à retrouver du travail. Le chef posait affectueusement sa main sur l’épaule d’Herbert, en l’accompagnant jusqu’aux vestiaires. Herbert se laissait diriger sans opposer la moindre résistance. Il n’arrivait pas à réaliser ce qui lui arrivait. Il n’avait rien compris. Il avait rater la pause, mais cela n’était pas grave. Il voulait à présent reprendre son poste sur sa machine. Le chef lui dit que sa machine allait être démontée dans l’après midi, et envoyée en Hongrie. Herbert s’habillait mécaniquement, il ne comprenait pas ce qu’il avait fait de mal. Enfin! Il n’avait commis aucune faute professionnelle justifiant un licenciement sec. Une fois en civil, et son casier vidé dans un sac en plastique, Herbert se mit en quête de trouver un chef syndicaliste. Il en trouvait un attablé à la cafétéria. Il avait du temps de libre afin de pouvoir écouter les doléances des ouvriers. Herbert allait naturellement vers lui. Celui-ci avait bien remarqué l’arrivée d’Herbert, mais il faisait comme si de rien était. Herbert restait quelques temps debout devant ce syndicaliste avachi à sa table, avant que celui-ci ne daigne lever les yeux. Herbert était persuadé que son affaire serait prise en compte. C’était là un bon motif de faire grève. Bon! Herbert n’était pas syndiqué. Mais cela n’était pas important en comparaison de ce qu’il venait de subir. Le syndicaliste écoutait cette histoire d’une oreille discrète. Apparemment, cela n’avait pas l’air de l’émouvoir le moins du monde. Le syndicaliste était au courant de ce plan de restructuration, de ce dégraissage. Il avait signé avec la direction des accords la dessus. Bien sûr, il y avait eu des secteurs plus touchés que d’autres, mais dans l’ensemble, l’affaire avait été plutôt favorable. Le syndicaliste reprochait à Herbert de ne pas s’être impliqué avant dans cette affaire. Maintenant, c’était trop tard: tout était plié. Le syndicaliste demandait maintenant poliment à Herbert de le laisser finir sa pause tranquillement. Herbert était cassé. Il ne comprenait toujours pas ce qui lui arrivait. Il se retrouvait sur le trottoir en ce milieu de matinée, sans savoir comment il était arrivé là. Il se mit à déambuler dans les rues glacées de la capitale. Une bouche de métro l’avalait, il monta dans une rame de métro à demi pleine, mais il resta debout quand même. Un jeune type monta à la station Rambuteau. Il avait un sac à dos en toile de jute qui pendait sur son côté. Il tenait devant lui un écriteau sur lequel était écrit: j’ai faim. Le gars commença à dérouler une interminable litanie:

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